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MM. Molé et de Montalivet ont-ils eu tort de retenir leurs portefeuilles et de rester ministres devant la chambre de 1838 ? L’évènement a répondu ; car, à l’heure qu’il est, ils dirigent encore les affaires. Dans un temps où, plus que dans tout autre, l’éloge et le blâme se distribuent suivant la partialité des opinions, nous ne connaissons pas de témoignage moins récusable et plus flatteur que les faits. Le ministère du 15 avril est debout ; ses adversaires consentiraient à le louer s’il n’existait plus.

Lorsqu’on fut convaincu de la volonté du ministère de garder sa position, l’irritation des différens côtés de la chambre qui comptaient dans leurs rangs des candidats au pouvoir fut vive. On ne pouvait pardonner au cabinet de vouloir durer et d’y réussir en empruntant au centre droit ses tendances les plus raisonnables et les plus modérées d’ordre et de conservation, au centre gauche ses instincts généreux d’honneur et de dignité nationale. Cette ambition d’avoir à l’intérieur une politique libérale et ferme sans M. Guizot, à l’extérieur une attitude honorable et forte sans M. Thiers, souleva des tempêtes et fut appelée crime par les partis. S’étonner de ces colères serait se montrer surpris que les hommes aient des passions ; ce serait oublier aussi que le gouvernement représentatif compte parmi ses avantages celui de mettre en lumière les qualités et les travers des hommes, le mal comme le bien, les inconvéniens comme les aspects généreux de la nature humaine. Les ministres du 15 avril ont voulu garder leurs postes ; quelques hommes et quelques fractions de la chambre ont voulu les en déloger. L’opiniâtreté ministérielle est-elle plus coupable que la convoitise des assaillans ?

Pendant que les partis étaient dans leurs grandes colères, ils n’avaient ni assez de loisir ni assez de sang-froid pour remarquer la maligne indifférence du public et de la majorité même de la chambre. Quelle grande question politique était en jeu ? aucune ; quel homme était poussé au pouvoir par le flot de l’opinion ? personne. Or les passions politiques des majorités, tant dans le pays que dans les chambres, ne sont jamais émues que par des intérêts évidens et généraux, et c’est seulement alors qu’elles se mettent à soulever des questions personnelles. Mais il faut se féliciter des préoccupations qui ont empêché quelques hommes de juger quelle était la véritable température de l’atmosphère politique ; ils se sont découverts avec plus de franchise ; dans les emportemens de la lutte, ils ont laissé tomber le masque. Nous n’hésitons pas à compter parmi les résultats utiles de la session de 1838 la connaissance plus nette et plus intime que nous