Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/408

Cette page a été validée par deux contributeurs.
404
REVUE DES DEUX MONDES.

des brefs flatteurs des papes Léon X et Clément VII, rédigés par Bembo et Sadolet, il avait bien, selon les habitudes de la renaissance, fait intervenir la mythologie.

Il est clair qu’en sa première églogue, il se peint lui-même dans ce pêcheur Lycidas qui célèbre si douloureusement l’anniversaire de la mort de Philis. Un sentiment vrai et profond perce dans cette pièce à travers l’artificielle écorce du style virgilien. Dans la deuxième, tous les détails sont antiques : Lycon, par exemple, s’y dit habile à trouver sous les flots le coquillage dont les Tyriens tiraient la pourpre, et il veut teindre de cette couleur une belle robe pour sa maîtresse. Il oppose à ses dédains pour un pêcheur, non pas Adonis, comme les simples bergers, mais Glaucus. Peut-être cependant y a-t-il un retour sur lui-même dans ce passage où il se plaint de l’insensible Galatée, en pêcheur qui se souvient des vers du Cyclope et de l’Alexis. Parmi les belles dont Lycon se dit favorablement accueilli, pour exciter la jalousie de la cruelle, il nomme la belle Hyale :

In primis formosa Hyale, cui sanguis Iberis
Clarus avis, cui tot terræ, tot littora parent
Quæque vel in mediis Neptunum torreat undis
.


N’est-ce pas quelque grande dame espagnole de la cour des princes aragonnais ?

La troisième églogue, quoique pleine encore de détails antiques, offre une allusion assez claire à des événemens contemporains. Des pêcheurs, arrêtés par le mauvais temps au promontoire de Baule, passent leur temps à causer et à chanter ; entre autres sujets de conversation, ils s’entretiennent de ce que leur ont rapporté, de la France et de l’Océan qui en baigne les rivages, ceux de leurs amis qui ont suivi dans cette contrée la fortune de leur roi vaincu et exilé.

Ce qui nuit un peu à l’effet des églogues de Sannazar, c’est le soin trop visible de remplacer les divers détails pris autrefois par la poésie bucolique de la vie des champs, par d’autres détails empruntés aux habitudes des pêcheurs. Cette substitution est quelquefois naturelle ; quelquefois aussi elle ne l’est point. Je veux bien qu’un de ses acteurs, parlant de présages funestes, substitue au chêne frappé de la foudre et au cri de la corneille, le rocher résonnant sous la vague furieuse et les cris des plongeons ; je veux bien que, pour marquer les heures du jour, ses personnages demandent, à ce qui leur est familier d’autres circonstances que celles dont usent en pareil cas les ber-