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MÉMOIRES DE LAFAYETTE.

jamais besoin de croire que tout ne meurt pas avec nous), je me sens toujours susceptible des douceurs de l’amitié… Et quelle amitié que la vôtre, mon cher Maubourg !

« Je vous embrasse en son nom, au mien, au nom de tout ce que vous avez été pour moi depuis que nous nous connaissons. «

Lafayette rentre en scène en 1815, et, à part deux ou trois années de retraite encore, au commencement de la seconde restauration, on peut dire qu’il ne quitte plus son rôle actif jusqu’à sa mort. Un écrit assez considérable et inachevé[1] expose la situation publique et sa propre attitude en 1814 et 1815. En la faisant bien comprendre dans son ensemble, il reste un point auquel il réussit difficilement à nous accoutumer. C’est lorsqu’aux cent jours, et Bonaparte arrivant sur Paris, Lafayette, qui s’est rendu à une conférence chez M. Lainé, propose de défendre la capitale contre le grand ennemi ; il se trouve seul de cet avis énergique avec M. de Chateaubriand. Mais M. de Chateaubriand, c’est tout simple, en proposant de mourir en armes, s’il le fallait, autour du trône des Bourbons, voyait pour l’idée monarchique, dans ce sang noblement versé, une semence glorieuse et féconde ; il motivait son opinion dans des termes approchans et avec cet éclat qu’on conçoit de sa bouche en ces heures émues. Lafayette, qui raconte ce détail et qui rappelle les chevaleresques paroles sur ce sang fidèle d’où la monarchie renaîtrait un jour, ne peut s’empêcher d’ajouter : « Constant (Benjamin Constant, qui était de la conférence) se mit à rire du dédommagement qu’on m’offrait. » Et, en effet, la position de Lafayette en ce moment, au pied du trône des Bourbons, paraît bien fausse, surtout lorsqu’on a lu le jugement qu’il portait d’eux pendant 1814 ; je ne dis pas que sa situation eût été plus vraie en se ralliant à Bonaparte. Pourtant, je le concevrais mieux ; il n’y aurait eu rien du moins qui prêtât à rire.

Carnot, je le sais, n’avait pas les mêmes engagemens que Lafayette, ni les mêmes scrupules solennels de liberté ; mais, en ces crises de 1814-1815, sa conduite envers Bonaparte répond bien mieux, en fait, et sans marchander, à l’instinct national et révolutionnaire.

Une remarque encore sur le factice, déjà signalé, qui s’introduit dans ces rôles individuels en politique. Si Benjamin Constant n’avait pas été là fort à propos pour éclater de rire (ce qui est bien de lui) sur le point comique au milieu de la circonstance sombre, l’homme

  1. Tom. V.