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général est assez imposante… » Une telle façon d’endurer le martyre politique vaut bien celle de l’excellent Pellico[1].

Dans un écrit intitulé Souvenirs au sortir de Prison[2], Lafayette récapitule et rassemble ses propres sentimens mûris, ses jugemens des hommes au moment de la délivrance, et la situation sociale tout entière : c’est une pièce historique bien ferme et de la plus réelle valeur. On l’y voit, et en général dans tous ses écrits et toutes ses lettres de 97 à 1814, on le voit appréciant les choses sans illusion, les pénétrant, les analysant en tous sens avec sagacité, et ne se préoccupant exclusivement d’aucune forme politique. Il serait prêt volontiers à se rallier à la constitution de l’an iii : « Les malheurs arrivés sous le régime républicain de l’an iii dit-il, ne peuvent rien préjuger contre lui, puisqu’ils tiennent à des causes tout autres que son organisation constitutionnelle. » Pourtant, à peine délivré par l’intervention du directoire, il a à s’exprimer sur les mesures de fructidor, et sa première parole est pour les réprouver. Car ce qu’il veut avant tout, c’est l’esprit et la pratique de la liberté, de la justice. « Quel scandale, nous dit-il en propres termes, bien qu’à demi-voix[3], si j’avais avoué que, dans l’organisation sociale, je ne tiens indispensablement qu’à la garantie de certains droits publics et personnels, et que les variations du pouvoir exécutif, compatibles avec ces droits, ne sont pour moi qu’une combinaison secondaire ! » De Hambourg, du Holstein, de la Hollande, où successivement il séjourne avant sa rentrée en France, toutes ses lettres si vives, si généreuses, et respirant, pour ainsi dire, une seconde jeunesse, expriment en cent façons, à travers leur sève, les dispositions mûres et les opinions rassises qu’on a droit d’attendre de l’expérience d’une vie de quarante ans. Il se refuse à rentrer par un biais dans les choses publiques. « Rien, écrit-il (octobre 1797) à un ami qui semblait l’y pousser, rien n’a été si public que ma vie, ma conduite, mes opinions, mes discours, mes écrits. Cet ensemble, soit dit entre nous, en vaut bien un autre ; tenons-nous-y, sans caresser l’opinion quelconque du moment. Ceux qui veulent me perfectionner dans un sens ou dans un autre ne peu-

  1. Chez celui-ci, en effet, l’humilité chrétienne, au-dessus de laquelle, comme beauté, morale, il n’y a rien, a pourtant pris la forme d’une âme plus tendre et douce que vigoureuse et, plus qu’il n’était nécessaire à l’angélique attitude de la victime, ce que j’appelle le généreux humain y a péri. Ce généreux humain éclate dans tout son ressort chez Lafayette captif, et non sans un auguste sentiment de déisme qui y fait ciel. Mme de Lafayette introduit à côté le christianisme pratique, fervent, mais un christianisme qui accepte et qui veut le généreux.
  2. Tom. IV.
  3. Souvenirs au sortir de prison.