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vingt-cinq jours dans l’obscurité, ils envoient au haut des montagnes des hommes qui épient les premiers rayons du soleil et qui l’annoncent aux habitans de la plaine. Alors ceux-ci se réjouissent et célèbrent une grande fête.

« Parmi les peuples qui habitent cette contrée, les Skrithfinni ne savent ni se nourrir, ni s’habiller comme les autres hommes, et mènent une vie semblable à celle des animaux. Les hommes et les femmes vont à la chasse. Il y a là des forêts plus grandes que partout ailleurs, et l’on trouve au sommet des montagnes une grande quantité de gibier. La chair des bêtes sauvages leur sert de nourriture, et les peaux cousues avec des boyaux leur servent de vêtemens. Les femmes n’allaitent pas leurs enfans : elles les enveloppent dans une peau, les suspendent à un arbre, leur mettent dans la bouche un peu de moelle d’animal et s’en vont à la chasse.

« Les autres habitans de Thule ne différent pas beaucoup par leurs mœurs des peuples étrangers. Ils adorent un grand nombre de dieux qui habitent le ciel, l’air, la terre, la mer, les fleuves, les sources d’eau, et leur offrent des sacrifices. Le premier de ces dieux est Mars ; ils lui offrent les prisonniers de guerre. Tantôt ils les égorgent selon l’usage habituel, tantôt ils les pendent à des arbres ou les jettent sur des pointes d’épines aiguës, ou les immolent de quelque autre façon. Parmi les nations de Thule, il y en a une très nombreuse qui s’appelle Gauti. »

Toute cette description de Thule se rapporte parfaitement au nord de la Scandinavie. Ces Gauti dont parle Procope sont les Goths. Les Skrithfinni, mentionnés deux siècles plus tard par Paul Warnfredi, sont les Lapons auxquels on donnait aussi au moyen-âge le nom de Finnois. Le mot de Skritt (suédois skrœda, courir, skida, patin) indique un trait de mœurs qui existe encore parmi ces populations[1].

Ce que Procope raconte du culte des dieux s’accorde avec les anciennes traditions. La grande fête dont il fixe l’époque au solstice d’hiver était le Jul que les Scandinaves célébrèrent pompeusement jusqu’à l’époque du christianisme et qui a donné son nom à la fête de Noël[2]. La durée du solstice d’hiver et du solstice d’été est celle qu’on observe au 67e degré de latitude, c’est-à-dire au-delà du golfe de Bothnie[3].

À peu près à la même époque où Procope décrivait ainsi les contrées du Nord, Jordanes racontait les migrations des Goths, et son livre romanesque, séduisant, devint, pour les annalistes suédois du moyen-âge, une base irrécusable sur laquelle ils fondèrent tout un système. Lui-même avait confondu les documens anciens et les documens nouveaux, les temps et les lieux, les

  1. Le mot scritovinni, dit Paul Warnfredi, signifie sauter ; il exprime l’habitude que ces peuples ont de se servir de planches courbées comme un arc, pour courir après les bêtes sauvages.
  2. La nuit de Noël, en Suède, s’appelle Julnat, Julafton En Danemark et en Norwége, on a conservé le même nom.
  3. Geiier, Svea Rikes Hœfder.