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LA TERREUR EN BRETAGNE.

Et se penchant sur la selle :

— C’est une ci-devant, n’est-ce pas ? me demanda-t-il à demi-voix.

Je fis un signe affirmatif.

— On la cherche ?

— Oui.

— Et vous allez suivre ainsi la grande route ?… Mais, si on envoie à vos trousses, vous serez tout de suite rattrapés et reconnus.

— Comment faire ? Le cabriolet ne passerait point par les chemins de traverse, et Claire ne pourrait aller à pied.

— C’est juste, murmura Ivon en se redressant sur sa selle, et il continua de chevaucher à nos côtés en sifflant entre ses dents d’un air rêveur.

La nuit était froide, mais claire ; on apercevait la route que nous suivions, côtoyant au loin les collines, blanche et sinueuse comme une rivière éclairée par la lune. Quoique l’heure fût peu avancée, tout était profondément silencieux. Nul bruit de chariot, nul chant du côté des métairies, nul son de cloche à l’horizon, rien qui annonçât la vie ! Les eaux et les vents eux-mêmes se taisaient ; on eût dit que la création partageait l’effroi qui semblait régner partout. Au milieu de ce sombre silence, le bruit de notre voiture retentissait au loin comme un avertissement pour ceux qui pouvaient nous poursuivre, et ce bruit me causait une impatience, une angoisse impossible à rendre. Puis la vue de cette route qui se déroulait toujours à l’horizon, comme une bobine sans fin, me jetait dans une sorte de désespoir qu’irritait encore la tranquillité apparente de mes compagnons. Ne sachant sur quoi décharger ma rage silencieuse, je me mis à tourmenter le cheval, que j’accablais des épithètes les plus humiliantes, lorsque deux coups de feu partirent à l’horizon.

— Qu’est-ce que cela ? m’écriai-je en m’arrêtant.

Au même instant l’appel bien connu des chouans se fit entendre, et un nouveau coup de feu retentit.

— C’est sur la route, dit Ivon ; les brigands attaquent quelqu’un.

Nous demeurâmes immobiles, prêtant l’oreille attentivement ; mais tout était rentré dans le silence. Après une longue attente, je me détournai vers Ivon, pour lui demander ce qu’il croyait prudent de faire ; mais le cri de la chouette se fit entendre de nouveau, un peu à gauche de la route : d’autres cris, plus lointains, lui répondirent.

— Bon, dit Ivon, l’affaire est faite, et les brigands s’en vont.

— En es-tu bien sûr ?