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DE L’UNITÉ DES LITTÉRATURES MODERNES.

après ce beau travail, quand ils l’ont ainsi lié, enchaîné, muselé, ils triomphent de l’avoir ramené à leur hauteur, et c’est cette affreuse impuissance de rien oser à laquelle ils le supposent réduit, c’est cet excès d’indigence morale, qu’ils exaltent comme la marque de la supériorité de l’esprit français sur tous les autres ! Oh ! les maladroits admirateurs ! Qui n’aimerait mieux d’habiles adversaires !

Ils n’altèrent pas moins les plus belles plantes de l’intelligence humaine que les faiseurs de systèmes n’altèrent dans leurs classifications les plantes des forêts : les siècles dorment dans leurs fausses théories comme les nobles végétaux dans le fond d’un herbier ; qui pourrait reconnaître sans effort, à ces restes flétris, les fleurs printanières de la montagne ? où sont leurs rapports avec la terre, et l’eau, et le soleil ? De même, qui pourrait reconnaître dans ces lambeaux de systèmes les œuvres éternellement vivantes de la pensée ? que sont devenues leurs relations avec les temps et les choses, et le grand horizon des destinées humaines ?

Le XVIIe siècle a encore aujourd’hui pour commentateur le XVIIIe, qui partout le refait à son image.

En effet, si l’on peut affirmer quelque chose, c’est au contraire que les pensées du siècle de Louis XIV sont naturellement ailées à la manière de celles de Platon. Au souffle de la philosophie de Descartes, elles s’élèvent d’un facile essor. Ce n’est pas seulement Mallebranche, Pascal et les tristes reclus de Port-Royal, qui sont emportés sur ces hauteurs ; les gens du monde s’y rencontrent aussi, comme à une fête de l’intelligence. Et si cette époque a une supériorité évidente sur les temps qui l’ont suivie, si les moindres circonstances de la vie y sont ornées d’une sorte d’élégance morale qui semble émaner de l’intérieur même des choses, c’est que tout ou presque tout était saisi de cette sublime folie de l’idéalisme que l’on a tant reprochée, de nos jours, à quelques écoles étrangères. À vrai dire, le siècle de Louis XIV n’a le visage composé, pédantesque et contraint, que dans les livres des commentateurs et sur le banc des écoles littéraires ; hors de là, je le trouve bien plus conforme à ce qu’en disait un correspondant de Mme de Sévigné : « Le siècle est fort plaisant. Il est régulier et irrégulier, dévot et impie, adonné aux hommes et aux femmes, enfin de toutes sortes de genres de vie. » C’est en effet son caractère que cette multiplicité de figures et de types. Au lieu d’appartenir exclusivement à une idée, c’est le siècle des transitions et des nuances par excellence. Plus près du goût de l’antiquité que les hommes d’aujourd’hui, plus près du génie moderne que les écoles de la renais-