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DE L’UNITÉ DES LITTÉRATURES MODERNES.

quoi, malgré l’esprit de raisonnement propre à notre époque, la poésie s’y est plus souvent rencontrée que l’art d’en bien juger. Gœthe, Byron, Chateaubriand, ont paru en même temps ; mais du choc continuel des écoles, quelle doctrine, quelle poétique a-t-on vu sortir ? Et, de bonne foi, où est le critique, en Europe, depuis Lessing ?

Pour sortir de cette extrémité, il semble qu’il reste un seul moyen, qui est d’envisager si les deux écoles, jusqu’à présent aux prises, et qui ne peuvent être vaincues l’une par l’autre, n’ont pas un principe commun, également faux dans l’une et dans l’autre. Or, si l’on poursuit cette recherche, il n’est pas difficile de découvrir qu’en effet ces doctrines opposées reposent sur la même idée, ou plutôt sur la même hypothèse, et qu’elles sont incompatibles parce qu’elles ont le même vice. Cette idée propre à l’une et à l’autre, est celle-ci : que le siècle de Louis XIV, sujet de tout le débat, est sans lien visible avec le moyen-âge, sans relation intime avec les origines de l’humanité moderne, qu’il n’est point de la même famille que les siècles qui le précèdent et que ceux qui le suivent, que ses tendances véritables d’art et d’imagination se rattachent au siècle d’Auguste. Car la même idée qui servait à ses partisans pour l’isoler de la foule et l’élever au-dessus des monumens des littératures étrangères, servait au contraire à ses adversaires pour le rabaisser et l’exclure des sympathies des peuples modernes. Ce que les uns appelaient génie d’imitation, les autres l’appelaient artifice. Ce qui passait ici pour antique, passait là pour suranné. La bienséance était travestie en froideur et la science en plagiat. Des deux côtés, l’on s’était réuni pour arracher au chêne gaulois ses racines dans le sol de l’Europe. Le moyen, après cela, de s’étonner qu’il eût paru céder si vite à la première tempête !

En un mot, l’art du siècle de Louis XIV a-t-il sa place naturelle dans la tradition féodale et chrétienne ? Est-il né, au cœur de l’humanité, des sentimens propres à nos temps, communs à nous et aux peuples étrangers ; ou bien, détaché de la chaîne des âges, né de lui seul ou du hasard, interrompt-il, brise-t-il, par une exception éclatante, la série continue des formes du passé, semblable par là à ces êtres auxquels on ne découvre point d’analogue prochain dans l’échelle de l’organisation ? En d’autres termes, les doctrines de cette époque sont-elles si exclusivement nationales, qu’elles ne peuvent avoir rien de commun avec la poétique italienne, avec l’anglaise, l’allemande ou l’espagnole ? La tradition de l’art français doit-elle et peut-elle s’alimenter uniquement de sa propre substance ? et, éternellement borné à lui seul, sans nul concours étranger, le siècle de Louis XIV,