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AFFAIRES D’ORIENT.

fussent les offres des puissances occidentales, nous craindrions qu’au moment de se prononcer, son courage ne faillît tout-à-fait, et que la peur de la Russie ne fût, chez elle, plus forte encore que son ambition.

Le refus du cabinet de Berlin d’entrer dans la grande alliance occidentale ne saurait être d’ailleurs pour nous une cause déterminante de changer de système. Dans l’intérêt de la grandeur prussienne en particulier, et dans celui de l’Europe en général, nous ne pourrions que déplorer la politique aveugle et débile de cette cour ; mais nous n’en resterions pas moins les alliés de l’Angleterre et de l’Autriche, à la condition, bien entendu, condition fondamentale de toute alliance avec ces puissances contre la Russie, qu’elles nous accorderaient le prix de nos efforts dans le Levant en nous garantissant la possession du grand-duché du Bas-Rhin, et à la Prusse, la cession de la Saxe, à titre de compensation. Si la cour de Berlin refusait de s’associer à l’alliance de l’Occident, il importerait que du moins elle fût neutre, et elle embrasserait ce parti, si nous la désintéressions d’une alliance avec la Russie en lui assurant la Saxe.

Mais ces conditions calculées dans un esprit si évident de modération, les cours de Vienne et de Londres les accepteraient-elles ? Se décideraient-elles à renverser elles-mêmes l’œuvre de leurs victoires et de leur vengeance ? à briser les liens dans lesquels elles se sont efforcé de garrotter notre puissance ? à nous émanciper enfin ? Elles ont un intérêt si manifeste, d’une importance tellement capitale, à nous associer à leur cause dans une guerre d’Orient, que nous pouvons à peine admettre de leur part la moindre hésitation. Pour l’Autriche surtout, notre alliance serait décisive : elle serait une question d’avenir et d’indépendance : elle sait bien que nous ne pouvons rester neutres dans une semblable crise, et que, si elle refuse d’obtenir notre concours au seul prix auquel nous puissions consentir à le lui accorder, elle nous précipite infailliblement dans les bras de la Russie. Grace au ciel, nous ne sommes point enchaînés à un ordre exclusif d’idées et d’alliance. L’avantage merveilleux de notre situation ne consiste point à demeurer inactifs ou incertains dans la crise d’Orient, mais à pouvoir choisir entre les deux systèmes qui se partageront l’Europe. Si l’Angleterre et l’Autriche, aveuglées par leur égoïsme, par leurs jalousies instinctives contre tout ce qui est gloire et grandeur françaises, veulent nous réduire au rôle secondaire de puissance à la suite, d’une main, nous traîner à la remorque dans les mers du Levant, et de l’autre, nous tenir enfermés dans les étroites limites