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viendrait-on à en triompher, si on offrait à la cour de Berlin des avantages considérables. Il faudrait lui garantir : 1o  la possession de tout le pays compris entre le Niémen et la ligne de la Wartha, appartenant actuellement à la Russie, et qui formait autrefois la plus grande partie de son lot dans le troisième partage de la Pologne ; 2o  la cession de toute la Saxe, à titre de compensation pour la perte de la portion du duché du Bas-Rhin située en-deçà du fleuve, qui serait restituée à la France.

Nous ne nous dissimulons point que la première de ces combinaisons soulèverait d’amères critiques surtout au sein de la nation polonaise. Pourquoi, dirait-on, au lieu de donner Varsovie à la Prusse, ne pas consacrer les forces de la grande alliance à la restauration d’une Pologne indépendante qui deviendrait le boulevart de l’Allemagne contre le Nord ? Certes, personne ne compatit plus profondément que nous aux infortunes d’un peuple que l’Europe a laissé lâchement immoler par l’ambition de Catherine. Mais la politique ne se fait point avec des regrets ni des vœux. Ses seuls élémens sont des faits existans ou possibles. Nous regardons le rétablissement de l’ancienne Pologne, dans les conditions de force où se trouvent aujourd’hui les trois états qui se la sont partagée, comme une œuvre impossible. Napoléon seul a pu l’entreprendre ; mais Napoléon avait un pouvoir immense ; il disposait de l’Autriche et de la Prusse ; par ces deux grands leviers, il avait une action immédiate sur les destinées de la Pologne ; et cependant son audace parut ébranlée au moment d’accomplir son œuvre. Il fallut qu’Alexandre le plaçât dans l’alternative de détruire ce qu’il avait commencé ou de l’achever ; il choisit le dernier parti, et sa puissance est venue s’abîmer dans la plus belle et la plus glorieuse de toutes ses entreprises. On doit être convaincu que l’Autriche ni la Prusse n’abandonneront jamais de leur plein gré les provinces qui leur sont échues dans les trois partages. Il faudrait donc reconstruire une Pologne avec cette portion du duché de Varsovie qui fut érigée, par l’empereur Alexandre, en royaume. Mais ce serait là une Pologne tronquée, fragment brisé d’un grand ensemble qui tendrait sans cesse à recomposer son unité nationale et politique, dès-lors toujours mobile et agitée, vaste foyer de troubles et d’excitations pour les populations polonaises de la Russie, de la Prusse et de l’Autriche. Aussi, ces deux dernières ne se prêteraient-elles jamais sérieusement à un plan de restauration partielle de cet ancien royaume, et, sans le concours de ces états, la France ne peut rien fonder sur la Vistule. Si la Prusse possédait les riches pro-