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AFFAIRES D’ORIENT.

veloppera l’Autriche sur toute l’étendue de ses frontières orientales, et maîtrisera tout son commerce de la mer Noire et de l’Adriatique. Trop ambitieuse pour ne pas nourrir la pensée secrète de lui enlever un jour ses co-religionnaires grecs, et trop peu scrupuleuse pour ne pas avoir ourdi, dans ce dessein, de sourdes intrigues, elle se trouvera alors en mesure d’accomplir ses projets, et l’Autriche courra d’immenses périls. Sa force relative en éprouvera un tel affaiblissement, qu’elle perdra toute liberté dans ses mouvemens. Il ne lui restera plus contre les exigences du Nord qu’une force d’inertie comme celle de la Prusse. Elle se trouvera ainsi déchue de sa haute mission ; son rôle sera complètement changé : au lieu d’être pour l’Occident une barrière contre la Russie, elle deviendra, dans les mains de la Russie, un moyen d’asservir l’Occident, toutes les forces centrales qui le couvrent aujourd’hui seront renversées, et l’indépendance générale se trouvera compromise. La possession de la Bosnie, de la Servie, de la Macédoine et de l’Albanie, ne saurait être pour la cour de Vienne une compensation suffisante aux agrandissemens de la Russie ; car cette dernière, d’abord par son action directe, ensuite par celle de la Grèce qui tomberait infailliblement sous son influence, exercerait un tel ascendant sur ces provinces, qu’elles seraient, pour leurs nouveaux maîtres, plutôt une cause de faiblesse et de dépendance qu’un accroissement de forces.

Il semblerait donc que la politique de la cour de Vienne, dans la question d’Orient, lui est tracée d’avance ; qu’ennemie de position de la Russie, poste avancé de l’Occident contre son ambition, protectrice naturelle de la Turquie et de tous les intérêts compromis avec elle en Orient, elle devrait donner son dernier homme et son dernier florin, plutôt que de permettre au czar d’étendre sa domination au-delà du Danube. Mais la Russie n’est pas la seule ennemie qu’elle redoute : à l’Occident, la France l’épouvante bien davantage encore. La France serait en effet pour elle une ennemie bien formidable, si elle l’attaquait corps à corps avec toutes ses armes : par ses principes, elle mettrait en péril son organisation sociale, et, par ses armées, sa domination en Italie. Quel trouble ne jetterait-elle pas au sein de cet empire qui réunit, sous la même autorité, des Italiens, des Hongrois, des Polonais et des Allemands, qui compte autant de constitutions que d’états, réduit à la cruelle nécessité d’employer les forces de la moitié de l’empire à contenir l’autre moitié, gouverné enfin par les principes surannés d’une oligarchie féodale ? Aussi, la révolution de 1830, qui menaçait d’embraser l’Europe, a-t-elle inspiré