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AFFAIRES D’ORIENT.

comme saisi d’une sorte de pitié pour l’avenir d’une monarchie qui ne peut se mouvoir sans rencontrer un ennemi et un péril, et qui semble menacée d’une décadence prochaine.

Ce qui fait sa faiblesse, c’est la diversité des races qui la composent et l’absence complète d’unité dans son organisation sociale. Elle n’est, en effet, que le produit fortuit d’une agrégation de peuples. Elle s’est formée sans esprit d’assimilation, graduellement, par voie de conquêtes, d’investiture et d’héritage ; la maison de Hapsbourg a conquis autour d’elle tout ce qui était à sa portée, attachant ensemble les populations les plus disparates, tant sous le rapport des races, du langage, des mœurs et de la religion, que sous celui des institutions civiles et politiques. Trois siècles d’une même domination et les efforts constans du pouvoir central n’ont pu réussir à ramener à l’unité tous ces différens peuples. L’Autriche a échappé à cette loi générale de concentration qu’a subie l’Europe, et qui a agi sur certaines nations, particulièrement sur la France, avec une telle puissance de cohésion qu’à les voir aujourd’hui dans leur ensemble on les dirait formées d’un seul jet, tandis qu’il y a moins d’un siècle, les nuances les plus tranchées distinguaient leurs diverses parties. L’Autriche est une monarchie fédérale, et elle a toute la faiblesse qui tient à cette nature d’organisation politique. L’unité d’intérêts, de pensées et d’action qui existe entre tous les membres de son oligarchie, est le seul lien qui maintienne en faisceau les divers élémens qui la composent. Autrefois sa puissance ne souffrait point de sa constitution intérieure. Partout entourée d’états plus faibles qu’elle, elle se mouvait dans une sphère large et indépendante. Sa politique n’était nullement compliquée : s’efforcer de dominer l’Italie et l’Allemagne ; lutter, lutter sans cesse, soit par les armes de la diplomatie, soit par celles de la guerre, contre l’ascendant de la France, seule force rivale qu’elle connût en Europe ; enfin, servir de boulevart à la chrétienté contre les invasions de l’islamisme, c’était là toute sa politique. C’était aussi le temps de sa splendeur ; car elle régnait à Vienne, à Milan, à Naples, à Bruxelles, à Madrid, et sur la moitié du Nouveau-Monde. Aujourd’hui tout est changé. Elle est pressée, cernée de tous côtés par des états rivaux que l’ambition, la cupidité, leurs développemens naturels, doivent tôt ou tard armer contre sa puissance. Ces états renferment tous en eux-mêmes un principe d’affinité avec les diverses races qui composent le fond des populations de l’empire autrichien. Ainsi, dans les peuples de la Hongrie, de la Transylvanie et de la Gallicie, presque tous rameaux détachés de la grande souche des Slaves, et qui comptent