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La politique des puissances de l’Occident est donc entrée dans une phase nouvelle à l’égard des affaires d’Orient. Le temps des simples prévisions, des craintes vagues, est passé pour elles. Il faut qu’elles se tiennent prêtes à agir. La Turquie ne peut plus se protéger elle-même ; c’est là un fait évident, même pour les esprits les moins clairvoyans. L’intérêt de l’Europe occidentale, la sécurité de son avenir et de son indépendance exigent-ils que cet empire continue d’exister ? Alors elle n’a pas à hésiter : il faut qu’elle intervienne elle-même sur le théâtre des affaires d’Orient ; il faut qu’elle y apparaisse dans tout l’éclat de sa force, que son pouvoir se manifeste par sa diplomatie, par ses conseils, par ses menaces d’abord, et bientôt après, par ses flottes et par ses armées. Mais l’Europe occidentale ne forme pas un seul tout, mû et dirigé par une même pensée, par les mêmes intérêts. Elle est composée de forces diverses et à quelques égards hostiles les unes aux autres. Ce qui blesse et irrite violemment l’une d’elles peut n’affecter l’autre que d’une manière secondaire ou générale. De là, entre les états de l’Occident une grande diversité dans la manière d’envisager la question d’Orient.

Il est des puissances dont évidemment la dissolution de l’empire ottoman et l’établissement de la Russie sur le Bosphore compromettraient au plus haut point les plus chers intérêts : ce sont l’Autriche et l’Angleterre. Constatons d’abord la situation de ces puissances.


Lorsqu’on embrasse l’ensemble de la monarchie autrichienne et qu’on la considère dans sa force intrinsèque en l’isolant, par la pensée, des états qui l’entourent, on est réellement émerveillé de ses vastes ressources. Sa population nombreuse et guerrière se presse sur le sol le plus fertile : les plus beaux fleuves du monde traversent en tous sens son territoire, ses montagnes renferment des richesses minérales de toute nature. Sa constitution géographique est admirable : placée au cœur de la monarchie, sa capitale est couverte au nord et à l’est par la Gallicie, la chaîne des Carpathes et la Bohême ; à l’occident et au sud, par la ligne de l’Inn et du Danube, par le Tyrol et les Alpes-Juliennes. Trieste, Fiume et Venise font, de l’Adriatique, comme une mer autrichienne, et mettent cet empire en contact avec tout le commerce du Levant. L’Autriche semble donc, au premier coup d’œil, un des états de l’Europe les plus vigoureusement constitués. Mais si, de l’étude isolée de ses forces, on passe à celle de sa puissance relative, et qu’on l’envisage principalement sous son point de vue européen, l’admiration qu’elle a d’abord inspirée s’évanouit, et l’on se trouve