C’est donc seulement envers les puissances qui ont pris part à la conférence de Londres, comme signataires des traités de Vienne, que la Belgique est engagée. Mais quel est son titre auprès d’elles, si ce n’est le traité des 24 articles, et quels motifs invoquerait-elle aujourd’hui pour ne le point exécuter ? En ce qui les concerne, elles ont exécuté le traité. Deux de ces puissances ont même activement concouru, avec le consentement au moins tacite des autres, à effectuer la libération de son territoire ; elles l’ont reconnue et l’ont fait reconnaître de presque toute l’Europe : elles ont conclu avec elle des conventions, des alliances ; elles ont établi divers rapports entre leurs intérêts matériels et les siens, dans la forme ordinaire des relations internationales. Il est vrai qu’elles n’ont pas fait exécuter tout le traité du 15 novembre 1831 par la Hollande, comme elles s’y étaient engagées ; mais cette inexécution n’a porté préjudice à la Belgique en rien de fondamental. Tous les droits qui lui avaient été garantis sont intacts ; sa nationalité, dans les limites acceptées par elle, est restée inviolable. L’espèce d’incertitude que la non-acceptation du traité par la Hollande a pu entretenir, n’a d’ailleurs influé en rien sur la prospérité du nouvel état, qui a pris, au milieu de cette incertitude même, un essor inespéré. Commerce, industrie, manufactures, mouvement de la population, progrès matériels de toute nature, rien n’en a souffert, rien n’a été ni ralenti, ni entravé. Il est vrai encore, et c’est la seule ombre au tableau, que la Belgique, constituée neutre, s’est crue néanmoins obligée d’entretenir sous les armes, depuis 1831 jusqu’à présent, une armée considérable, hors de proportion avec ses ressources, le nombre de ses habitans et ses besoins ordinaires. Mais cela se résout en une question d’argent, et il n’est pas douteux que les arrérages accumulés de la dette ne doivent lui être abandonnés en dédommagement. Nous irons tout à l’heure plus loin sur ce chapitre.
Vous aurez sûrement remarqué, monsieur, que dans tout ce que je viens de dire, je pars du traité des vingt-quatre articles, je prends toujours ce traité pour base ; et le moyen, s’il vous plaît, que cela ne soit pas ainsi, dans l’intérêt même de la Belgique. Car elle ne voudrait pas apparemment que les choses fussent remises exactement dans l’état où elles se trouvaient avant le traité et avant l’incomplète exécution qu’il a reçue de la part de la France, par la délivrance d’Anvers. Lors du traité de Campo-Formio, le général de l’armée d’Italie pouvait s’écrier que la république française n’avait pas besoin d’être reconnue. Mais la Belgique, tandis que l’Europe traitait d’elle à Londres sans elle, ne pouvait en dire autant, et ce traité qu’elle rejette aujourd’hui lui a valu en Europe ce que la campagne de 96 avait valu à la république française. En 1831, la Belgique a fait sciemment à sa conservation le sacrifice d’une partie de ses élémens nationaux ; elle l’a fait avec douleur, on le sait, mais de bonne foi, on n’oserait pas le nier ; et aujourd’hui si la consommation de ce sacrifice lui paraît si dure, si les difficultés se présentent en foule, si le sentiment national se révolte, la Belgique doit bien