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LA TERREUR EN BRETAGNE.

— Comment cela ?

— En la conduisant à la Roche-Bernard, chez des cousins qui la cacheront.

— Elle est donc en danger ?

— Oui.

— Comme fille d’émigré ?

— Non, parce qu’elle est belle. Tu sais que Pochole a fait évacuer toutes les maisons religieuses où l’on élevait des jeunes filles. Claire était au couvent de l’Enfant-Jésus ; il l’y a vue…

— Je comprends… et il en est tombé amoureux ?…

— Oui, amoureux à sa manière ! Après l’avoir interrogée, il l’a conduite chez deux vieilles tantes qu’elle a ici, et où il vient tous les jours lui rendre visite. Mais comme l’enfant résiste, il a déclaré hier qu’il ferait jeter en prison les tantes et la nièce, s’il ne trouvait celle-ci plus docile. Je viens d’être avertie ; mon mari est absent, et n’a point d’ailleurs assez d’autorité pour lutter contre l’ami de Carrier ; la fuite seule peut sauver Claire. Tu es bon, tu as du cœur ; j’ai pensé que tu ne reculerais pas devant une bonne action, quoi qu’il puisse en arriver.

Je tendis les mains à la citoyenne Benoist.

— Je te remercie ; j’irai par Vannes, et j’emmènerai la jeune fille.

Nous convînmes de tout ce qui devait rendre notre fuite plus sûre. Il fut décidé que j’attendrais le soir pour partir, et la citoyenne se rendit chez les tantes de Claire afin de les prévenir et de tout préparer.

J’attendis la nuit avec une impatience impossible à exprimer. La perspective d’un danger trouble toujours plus que le danger lui-même ; l’imagination, éveillée par l’incertitude du dénouement, se livre à toutes les suppositions et à toutes les terreurs ; c’est un combat à vide dans lequel on s’épuise, faute de résultat, et parce qu’on ne peut porter ni recevoir de coups réels. Je faisais mille efforts pour occuper ma pensée ; je m’étudiais à marcher dans ma chambre en côtoyant certaines lignes du parquet ; je suivais dans la rue les progrès de l’ombre projetée par les maisons ; je comptais toutes les fractions de l’heure ; je n’aspirais qu’au moment d’être à cheval, près de ma protégée, et entouré de tous les périls que je devais courir. Enfin le soleil baissa à l’horizon, la brume du soir commença à s’élever ; mais Mme Benoist ne paraissait point… Mon impatience se changeait déjà en inquiétude, lorsqu’elle arriva.

— Nous avons tardé, me dit-elle, parce qu’il a fallu se procurer un déguisement.