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LE PRINCE LOUIS.

Le peuple se livre avec une activité tranquille à ses occupations : qu’on visite les ateliers, on jugera combien les travailleurs, les ouvriers, sont désabusés des illusions, des flatteries et des mensonges dont les avaient environnés les partis ; ils savent que le travail est le chemin le meilleur pour obtenir un jour l’amélioration de leur bien-être et l’extension de leurs droits. Cette sagesse intelligente a engagé quelques brouillons à se retourner vers l’armée ; mais ils ont encore retrouvé le cœur et le bon sens du peuple sous l’uniforme du soldat ; ils y ont trouvé de plus l’habitude et la religion du devoir. Le soldat français n’ignore pas aujourd’hui qu’il est citoyen, et qu’après avoir payé sa dette à son pays, il reviendra reprendre sa place au foyer paternel, et sa part de liberté dans la communauté politique. Ceux qui rêvent des révolutions militaires sont frappés de cet aveuglement qui est la juste punition des projets coupables. Ils ignorent et calomnient leur siècle : on dirait qu’ils pensent vivre à cette époque de l’empire romain où l’armée impériale, comme l’a remarqué Montesquieu, exerçait une puissance analogue à celle de la milice d’Alger, qui fait et défait son magistrat qu’on appelle le dey. C’est qu’en réalité toutes les barbaries se ressemblent.

Les armées de l’Europe deviennent de plus en plus intelligentes. L’étude y pénètre avec la réflexion. Soldats, sous-officiers, officiers, forment et éclairent leur esprit, et les représentans de la puissance militaire ne sont pas en dehors des progrès de la raison générale. Le soldat et le sous-officier n’ont plus la grossièreté brutale de ceux qui comme eux, dans le dernier siècle, portaient le mousquet et les galons : les officiers de nos jours ne se piquent pas non plus de cette ignorante frivolité qui semblait, il y a cinquante ans, faire partie de la tenue militaire. Ils sont instruits, savans même ; leur mâle bon sens se fortifie tout ensemble par la discipline, par la science, par l’étude de l’histoire et des intérêts politiques. Que d’esprits d’élite ne trouverait-on pas parmi les officiers de l’armée française ou de l’armée prussienne ! Ces développemens de l’intelligence sous les armes sont un des meilleurs garans de la liberté et de la civilisation européenne.

C’est cependant aujourd’hui qu’on voudrait présenter à nos soldats le napoléonisme comme une religion, et le nom de l’empereur comme un fétiche pour lequel on réclamerait une adoration muette et une servile obéissance ! Oui, cette idée a passé par la tête de quelques-uns, que le nom de Napoléon devait toujours présider aux destinées de la France, comme le nom de César a présidé long-temps aux destinées de l’empire romain : et c’est sur ce plagiat du passé