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LE PRINCE LOUIS.

munificence, mais un contrat synallagmatique ; le dogme de la souveraineté nationale remplaçant le dogme de la légitimité, est devenu la religion du pays, du roi comme du peuple, et le droit a été satisfait dans son esprit et dans sa lettre.

Et c’est cette situation vraiment légitime et normale que quelques-uns se proposeraient de troubler ! Étrange entêtement de s’imaginer pouvoir persuader le pays d’oublier tous les antécédens de sa vie constitutionnelle, de jeter au vent le résultat de ses travaux, le prix de ses épreuves et de ses sacrifices pour entrer dans des aventures sans motifs, qui ébranleraient la société sans la servir. Les deux jeunes gens qui ont écrit la relation historique que la cour des pairs vient de condamner, M. Louis Bonaparte et M. Laity, ignorent encore ce qu’il faut aujourd’hui de raisons puissantes aux nations pour qu’elles se laissent convaincre et mouvoir. La fantaisie de qui que ce soit ne peut servir de levier aux sociétés humaines.

Toutefois, nous l’avouerons, si le fils de l’empereur eût vécu, si sa dépouille n’habitait pas aujourd’hui les caveaux de Schœnbrunn, nous concevons l’enthousiasme qui eût pu, à son nom, monter au cœur de quelques vieux soldats, et la poétique ivresse qui eût pu embraser quelques jeunes têtes ; non que cet élan d’une faible minorité eût entraîné le pays en dehors de ses directions et de ses volontés ; mais au moins cette exaltation, qui n’eût pas eu de succès politique, aurait trouvé son excuse dans le charme et la puissance magique que pouvait exercer le fils de l’empereur sur quelques conscrits et sur quelques vétérans. Mais il n’en devait pas être ainsi. Dieu a tari la source du véritable sang de Napoléon ; ne pouvant donner au fils la gloire du père, il l’a dispensé de la fatigue de vivre, et ce jeune homme s’est éteint à la fleur de l’âge, parce qu’il n’y avait pas pour lui sur la terre de destinée possible.

Les parens de Napoléon, parmi lesquels il y a des personnes d’un esprit distingué, devraient apprécier sainement tant leur propre situation que l’esprit de la France et de notre siècle. Ils devraient comprendre qu’il n’y a plus de famille impériale, mais seulement une famille Bonaparte qui, après l’existence exceptionnelle de l’empereur, ne peut trouver de repos et de dignité que dans une modestie sincère, noble, et désintéressée de toute extravagante espérance. Quand M. Louis Bonaparte s’honore d’être citoyen suisse, et vit dans sa patrie adoptive en homme simple et libre, il est digne d’estime et d’intérêt. Mais quand ce citoyen suisse nous déclare qu’il se prépare à monter sur le trône de France, toute l’indulgence qui