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Du consulat à l’empire il y a la différence de la grandeur raisonnable à la grandeur fantastique. À partir du sacre de Notre-Dame on est dans les régions d’un merveilleux éphémère : tout est prodigieux, mais tout est faible, car Napoléon s’est imposé à lui-même cette condition d’être en tout, sur tous les points, toujours heureux, toujours vainqueur. Il ne peut recevoir le moindre échec impunément, et il doit devenir le plus malheureux des hommes, parce qu’il n’a pas l’omnipotence de Dieu. Aussi tout s’abîme dans sa double catastrophe de 1814 et de 1815, et pas le moindre droit ne survit au naufrage de sa fortune.

Voilà le vrai. La conscience de l’Europe en témoigne : l’Europe croyait à l’homme, à son bonheur ; elle n’avait accepté sa dynastie et sa famille que sous la menace d’une victoire permanente. En vain Napoléon s’était efforcé de se créer une famille historique, d’implanter en Espagne, en Westphalie, à Naples, en Hollande, des souches de rois : le moindre vent contraire devait emporter ces créations factices. L’Europe n’avait affaire qu’à lui, et encore ne le reconnaissait que victorieux.

Quand les frères de Louis XVI revinrent en 1814, ils se vantèrent par-dessus toute chose de rapporter avec eux le principe du droit, et de rendre à la France une situation légitime. Cette légitimité avait pour fondement l’ancien droit royal qui se considérait comme la source unique de toute loi et de toute moralité politique. Obligée d’accepter la révolution comme un fait qu’elle ne pouvait anéantir, elle se mit à la consacrer elle-même par la Charte, et on la vit prodiguer ce qui lui restait du prestige de sa vieille autorité pour introduire dans l’Europe monarchique les principes nouveaux et démocratiques. Ainsi la fortune n’avait ramené les anciens rois que pour leur faire reconnaître la révolution.

Cependant la Charte de 1814 avait deux grands inconvéniens : Louis XVIII l’avait octroyée au lieu de la consentir, et Charles X ne voulait pas l’exécuter. Le législateur de Saint-Ouen semblait pouvoir retirer plus tard ce qu’il avait donné, et le pays, dont l’intelligence et les convictions grandissaient tous les jours, ne se contentait plus d’une condition légale où il avait plutôt l’air d’un affranchi que d’un homme libre. On sait avec quelle rapidité victorieuse il profita de l’occasion que lui fit si belle un royal aveuglement, pour replacer ses droits sur leur véritable base.

L’œuvre de 1830 a rectifié l’œuvre de 1814. Ce qui avait été octroyé a été consenti et accepté : la constitution n’a plus été un acte de