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LE PRINCE LOUIS.

à donner un gage de plus de son adhésion intime au gouvernement de 1830 ; de l’autre, la solennité de sa juridiction était un hommage rendu à la raison du pays, qui se trouvait ainsi saisi de ces grands débats avec une franchise tout-à-fait constitutionnelle. La politique qui a fait porter la question du napoléonisme devant la cour des pairs a donc été à la fois profonde et légale.

D’ailleurs combien était favorable la situation du gouvernement pour demander à la justice et à l’opinion leur sentence ? N’est-ce pas le gouvernement de 1830 qui a relevé la statue de Napoléon et vengé cette illustre image des outrages de 1814 ? N’a-t-il pas été bon et généreux envers tous les membres de la famille Bonaparte ? N’a-t-il pas récemment encore engagé le pays à donner à la sœur de l’empereur un témoignage de munificence nationale ? Et le jeune homme qui essaie le rôle de prétendant, n’a-t-il pas été déjà le prisonnier du roi contre lequel il conspire encore aujourd’hui ? Comment qualifier sa conduite ? Faut-il lui imputer la légèreté d’un enfant ou l’ingratitude d’un parjure ?

Après tant de bienfaits, le gouvernement de 1830 pouvait donc se servir des lois avec convenance, avec opportunité. Tout l’autorisait à relever le gant qu’on lui jetait, et à faire du procès du 9 juillet une sorte d’appel au peuple, à l’opinion. C’est donc au public à juger à son tour les prétentions napoléoniennes, et le procès lui-même : la justice a parlé ; la presse rentre dans tous ses droits et dans sa liberté.

L’apparition de Napoléon dans notre histoire ; depuis 1795 jusqu’en 1815, l’influence qu’il exerça sur la France et sur le monde pendant vingt ans, ont un caractère de grandeur exceptionnelle qui met en dehors du cours ordinaire des choses tout ce qui se rapporte à sa personne et à son nom. Quand il parut, quand on le vit dessouiller la révolution[1], rompre d’une manière éclatante avec les traditions du jacobinisme et de Robespierre, donner à la France délivrée des chaînes hideuses de la terreur le prestige et l’appui de la gloire militaire, les garanties et la puissance d’une administration ferme, les avantages et la force d’un système de lois à la fois anciennes et nouvelles, on put se croire à une de ces époques où les états et les cités commencent, où tout s’élève à la voix du génie, où un législateur envoyé d’en haut crée une société, comme Dieu a créé le monde. Les campagnes d’Italie, le consulat et le code civil purifièrent la révolution et l’affermirent pour jamais.

  1. Expression de Napoléon lui-même.