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DE L’ÉGLOGUE LATINE.

crite. Avec ce qu’il lui prend, il fait autre chose, quelquefois même plus qu’il ne faudrait. Qui a dit à ceux qui l’immolent à l’originalité de Théocrite que ce dernier n’avait point eu de prédécesseurs, et que ses thèmes, il ne les a pas trouvés dans la poésie populaire de la Sicile ? Il a sans doute traduit ces poètes inconnus, comme Virgile l’a traduit lui-même.

Théocrite est plus près que son imitateur de la rusticité du modèle ; il l’a exprimée plus franchement, je n’ose dire plus naïvement, car la naïveté n’est pas de l’époque de Théocrite, d’un contemporain de Callimaque, d’Aratus, d’un poète d’Alexandrie enfin. Sa naïveté se connaît ; elle est le produit d’un travail habile qui mêle à un fond grossier, sans l’altérer, une élégance plus moderne. Les grammairiens, Probus entre autres, font remarquer que les formes doriennes auxquelles on attribuait quelque chose de rude et de champêtre, l’ont aidé à conserver la vérité rustique. Dans une sorte de mime de Théocrite, des Syracusaines qui parlent le dorien à Alexandrie ennuient beaucoup de leur prononciation ouverte et traînante un homme de la foule qui ne se gêne pas pour leur dire :

 Πάυσασθ’ὦ δύστανοι ἀνάνυτα ϰωτίλλοισαι
Τρυγὸνες. Ἐϰϰναισεῦντι πλατείασδοισαι ἅπαντα.

« Cesserez-vous de babiller, roucoulantes tourterelles ? Elles me feront mourir avec ces sons ouverts dont elles allongent tous leurs mots. »

Cela fait comprendre l’air étranger, rustique et doux à la fois que donnaient à la poésie bucolique grecque le dialecte particulier qu’elle avait adopté, et les sons ouverts de ces alpha si multipliés.

Virgile se servait de la langue commune qu’il a seulement semée quelquefois de vieux mots :

Et son cujum pecus ne fut-il pas noté ?


a dit un spirituel écrivain. L’expression de Virgile est plus loin du mot propre ; elle est plus générale, plus noble, plus digne. Virgile est aussi plus chaste, du moins en paroles, et, s’il n’évite pas toujours les choses, il déguise les mots. Ses personnages sont moins grossiers, moins rustres, ils sont même quelquefois trop polis ; ils prennent les sentimens et le langage de la ville. Quintilien ne pourrait dire d’eux ce qu’il dit de ceux de Théocrite : Urben, reformidant; ils y ont été quelquefois et l’on s’en aperçoit bien.

Tels sont, par exemple, Mopsus et Ménalque, le premier avec sa