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mal à l’aise, n’a rien de fondé. Heyne, vrai puritain de la pastorale, va jusqu’à ne reconnaître dans le recueil de Virgile que quatre pièces vraiment bucoliques, jusqu’à bannir absolument du style de l’églogue tout ce qui est rude et grossier, sans s’embarrasser de ce qu’il retranche par là chez Théocrite et même chez Virgile !

Ces deux poètes relèvent la pastorale, sans l’altérer, par l’élégance d’une expression plus polie que ce qu’elle peint, par la vérité et la délicatesse du pinceau, comme dans les tableaux de l’école hollandaise et flamande, par l’expression de la passion qui élève les conditions les plus simples au niveau des plus hautes, et enfin par la beauté des descriptions de la nature sensible. C’est dans des paysages enchantés, au sein de la plus riche lumière, que sont placés ces personnages rudes et grossiers que le poète ne craint pas de peindre au naturel, et lumine vestit purpureo. On peut s’étonner que Heyne reproche à Théocrite et à Virgile d’avoir usé trop sobrement de cette ressource, et, en cela, lui préfère Gessner. La discrétion, dans l’art de décrire, est un des mérites de cette antiquité qu’il connaissait si bien.

Si, à ce que nous venons de dire, on ajoute l’horizon mythologique donné à ces tableaux ; si on songe que les dieux avaient habité les campagnes, avaient été bergers ; que de plus, les divinités de la nature sauvage et champêtre, partout présentes dans les solitudes des bois, dans les grottes des rochers, aux sources des ruisseaux et des fleuves, peuplaient le paysage bucolique, on aura à peu près tous les élémens de la pastorale dans l’antiquité, pastorale réelle, c’est-à-dire nue et grossière, et toutefois élégante, poétique, merveilleuse. C’est là un heureux mélange qui se trouve chez Théocrite aussi bien que chez Virgile, et qui s’accomplit diversement. Tantôt le réel domine, tantôt l’idéal. Le réel est comme abandonné à lui-même dans le Moretum, attribué à la jeunesse de Virgile, et dans le Palœmon ; il est plus paré dans les autres églogues ; mais enfin c’est toujours le réel, le réel qui a disparu des pastorales comme des poétiques modernes.

Toutefois, il y a des différences dont il faut tenir compte. D’abord et avant tout, ne refusons pas si durement que le fait Heyne l’invention et l’originalité à Virgile ; louons plutôt avec Aulu-Gelle son habile éclectisme. Il y a une manière originale d’imiter. Choisir, ordonner, transporter dans une autre langue, dans une autre littérature, animer par une émotion vraie, par des sentimens nouveaux et personnels, ce qu’on emprunte, n’est-ce pas être encore original ? Virgile, dans l’Alexis, reste en Sicile ; dans les autres églogues, il est Italien, il a ses paysages qu’il substitue à ceux de Théo-