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DE L’ÉGLOGUE LATINE.

derne, personnage abstrait, général et convenu, qui a un chien, une houlette et des moutons, mais n’est d’aucun pays, d’aucun temps, qui aurait besoin d’écrire sur son chapeau :

C’est moi qui suis Guillot, berger de ce troupeau,


ce berger-là est inconnu aux anciens. Leurs bergers sont de Sicile, de Tarente, de Mantoue ; propriétaires, maîtres, esclaves, gardiens de bœufs, de moutons, de chèvres, de porcs, on n’en dédaigne aucun, venit de glande Menalcas. De là une vérité, une variété, qui nous manquent : et de plus, il n’y a pas que des bergers ; il y a encore des laboureurs, des moissonneurs ; les personnages de Virgile sont tout cela à la fois, ils ont des champs et des troupeaux. La définition étroite de Rapin et de Marmontel retranche du genre la peinture de ce qui pourrait troubler quelque peu cette quiétude qu’il doit selon eux exclusivement reproduire. Toutes les passions violentes et malheureuses, et même toutes les professions pénibles, depuis les laboureurs et les vendangeurs jusqu’aux jardiniers, aux chasseurs et aux pêcheurs, sont ainsi exclues de leurs bergeries, Rapin exige en outre des héros de l’églogue une innocence et une chasteté fort ordinaires, dit-il, chez les bergers au temps de l’âge d’or. Il aurait pu se borner à blâmer la liberté quelquefois excessive de Théocrite, fort à propos corrigée par Virgile. On le voit, il y a bien peu de pièces chez le poète grec, et même chez le poète latin, qui échappassent à un tel système d’élimination, d’épuration. Leurs bergers sont souvent jaloux, vindicatifs ; ils ont des inimitiés, ils commettent des violences, se disent des injures, et sont quelquefois souillés de vices honteux. Ils ne sont même pas tous bergers ; ils labourent, moissonnent, vendangent, jardinent et pêchent. Virgile, dans ses peintures des paysans de la Gaule cisalpine qui, comme les nôtres, mêlaient toutes les conditions de la vie champêtre, donne à la fois tous ces rôles aux interlocuteurs de ses églogues. Ce n’est pas tout, on veut qu’il ne soit pas question dans la pastorale des choses de la ville, sous le prétexte que cela y amènerait de tristes images qui nuiraient à l’unité du tableau. Théocrite et Virgile n’ont pas pensé ainsi. Les raffinemens, la délicatesse, l’opulence inquiète et malheureuse de la cité, sont souvent rappelés par eux. Syracuse et Rome servent de fond à leurs paysages. Virgile n’a pas craint de troubler la paix des champs du contre-coup des guerres civiles, d’opposer à l’heureux Tityre le fugitif Mélibée ; de là des beautés de contraste que Marmontel s’est bien gardé de comprendre. Concluons qu’une définition, lit de Procuste, où Théocrite et Virgile sont