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titres insignifians, devenus noms de genre, et desquels on a tiré des théories qui, établissant une grande différence entre l’idylle et l’églogue, en faisaient deux espèces de pastorales, l’une plus vraie, l’autre tout idéale. Il est piquant que cette dernière soit l’idylle et que l’autre soit l’églogue. La distinction admise, c’est le contraire qu’on aurait dû faire, en se reportant à la différence de Théocrite et de Virgile.

Donat et Phocas prétendent que Virgile composa en trois ans ses Bucoliques, à l’invitation de Pollion ; mais il n’y a là rien de vrai, ni l’invitation, ni le chiffre. Les modernes, Martin, Heyne, Voss et beaucoup d’autres jusqu’à M. Désaugiers aîné, se sont occupés de les ranger. Nous l’avons fait d’après eux tous, et il en est résulté cet ordre : Alexis, Palémon, Mélibée, Daphnis, Tityre, Mœris, Pollion, Silène, Pharmaceutria, Gallus. Elles furent composées en six années environ, de l’an 711 ou 712 à l’an 717 de la fondation de Rome, c’est-à-dire lorsque Virgile avait de vingt-sept à trente-trois ans. Probablement les Bucoliques n’ont pas été alors la seule occupation de leur auteur, car ce n’est qu’un choix, eclogœ ; rien n’empêche de croire que dès cette époque Virgile travaillait à ses autres chefs-d’œuvre. Quoi qu’il en soit, la poésie latine possédait déjà à son insu des églogues dans les Dirœ de Valerius Caton, le Priape de Catulle, et quelques morceaux de Lucrèce. Mais Virgile paraît être le premier qui, à Rome, eût fait de la pastorale un genre spécial, à l’imitation de Théocrite. Nous nous bornerons à indiquer le caractère général de ces poésies, à dire en quoi elles ressemblent aux idylles du modèle grec, en quoi elles en diffèrent, et comment, si belles qu’elles soient, elles ont cependant frayé la route à la fausse pastorale des imitateurs.

Le premier rapport que Virgile ait avec Théocrite, c’est cette peinture, soit par le récit (et alors elle est épique), soit par le dialogue (et alors elle est dramatique), cette peinture de la vie réelle des champs, non pas d’un certain idéal d’innocence et de bonheur qui n’a jamais existé que dans les rêveries de l’âge d’or, et dont Rapin, Fontenelle, de La Motte, Marmontel, Heyne et autres font à tort le sujet propre du genre, mais d’un état rustique, grossier, non sans vices même, seulement plus simple, plus rapproché de la nature que la vie des hommes pour qui on la retrace. Les Arcadiens, dont parle tant Virgile, étaient, même dans l’histoire, un peuple tout pastoral, tout musical, mais fort grossier. Le caractère de la pastorale antique est donc la franchise avec laquelle est accusée cette rusticité. Le berger mo-