Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/239

Cette page a été validée par deux contributeurs.
235
DE L’ÉGLOGUE LATINE.

avaient eu quelques rapports avec les bergers, à Apollon, à Mercure, à Bacchus, à Pan, ou à des fils de ces dieux, surtout à un fils de Mercure et d’une nymphe, Daphnis, berger célèbre, qui a eu peut-être quelque chose d’historique, enfin à un berger sicilien proprement dit, nommé Diomus. C’est en Sicile qu’on place ordinairement le berceau de la pastorale ; Vossius donne de cela une raison assez plausible. On y parlait, dit-il, le dialecte dorien, et c’est dans ce dialecte qu’étaient exclusivement écrites les bucoliques des Grecs. C’est bien certainement à la Sicile que la littérature a été emprunter le modèle de la poésie pastorale ; mais cette poésie a dû naître partout où la vie des pasteurs, des agriculteurs, a offert des circonstances poétiques et musicales favorables à son développement, et ces circonstances se rencontrent surtout chez les peuples méridionaux. On se préoccuperait donc d’une question oiseuse en recherchant sa primitive patrie et en la plaçant, d’après des témoignages qui se valent et ne décident rien, dans la Thessalie ou dans la Laconie, dans un lieu plutôt que dans un autre.

Voilà pour l’églogue naturelle ; quant à l’églogue artificielle, elle commence assez tard, peut-être avec Stésichore, poète sicilien du temps de Cyrus, auquel Ælien attribue l’invention de la pastorale, peut-être seulement avec Théocrite. Ce retour vers les inspirations primitives était une ressource pour les peuples blasés, ramenés ainsi au goût de la simplicité, une ressource pour la poésie, dont la description, qui jusque-là n’avait été qu’un cadre, devint, à la place de la figure de l’homme, l’objet principal, par la même raison que le paysage est un genre qui se produit fort tard, comme en fait foi l’histoire de la peinture. Le siècle des Ptolémées et celui d’Auguste se ressemblent en cela. Théocrite et son imitateur Virgile sont venus en leur temps. Virgile a délassé les imaginations fatiguées des excès du luxe, des horreurs de la guerre civile ; il les a ramenées vers quelque chose de plus innocent, de plus simple ; de là son succès, encore expliqué par la nouveauté de l’entreprise, par la perfection de l’exécution. Les Bucoliques lui ont fait une place à part, parmi les grands poètes du siècle d’Auguste. Horace, avant l’Énéide et peut-être les Géorgiques, écrivait :

Molle atque facetum
Virgilio annuerunt gaudentes rure camenæ
.

Virgile n’a pas plus donné à ses poésies pastorales le nom de Bucoliques que Théocrite aux siennes celui d’Idylles. Ce sont là des