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« gouvernemens représentatifs. » Les partis opprimés espéraient qu’il allait modifier la rigueur des temps ; il ne tenta rien pour eux ni pour lui. Contrarié dans une conférence avec les directeurs, il offrit sa démission ; Larevellière et Rewbell l’acceptèrent ; Barras la lui rendit, et le vainqueur de l’Italie se crut heureux de courir les côtes pour être hors de Paris, et d’être envoyé de France en Égypte où il emmena la fleur de nos armées. Ses idées se tournèrent alors vers l’Asie dont l’ignorante servitude, comme il l’a souvent dit depuis, flattait son ambition. Arrêté à Saint-Jean-d’Acre par Philippeaux, son ancien camarade, il regagna l’Égypte où, apprenant les revers de nos armées en Europe, et après avoir reçu une lettre de son frère Joseph portée par un Américain, il s’embarqua secrètement pour retourner en France, mais il n’y arriva que lorsque nos drapeaux étaient redevenus partout victorieux.

« Cependant sa fortune ne l’abandonnait pas. Un des tristes résultats de tant de violences précédentes avait été la nécessité généralement reconnue d’un coup d’état de plus pour sauver la liberté et l’ordre social. Plusieurs projets analogues au 18 brumaire furent proposés en quelque sorte au rabais, quoique sans fruit, à divers généraux. On y distinguait surtout le besoin de chacun de ne chercher des secours que là où les souvenirs du passé trouveraient une sanction. Au nom de Bonaparte, toute attente se tourna vers lui. Rayonnant de gloire, plus imposant par son caractère que par sa moralité, doué de qualités éminentes, vanté par les jacobins lorsqu’ils croyaient le moins à son retour, il offrait à d’autres le mérite d’avoir préféré la république à la liberté, Mahomet à Jésus-Christ, l’Institut au généralat ; on lui savait gré ailleurs de ses égards pour le pape, le clergé et les nobles, d’un certain ton de prince et de ces goûts de cour dont on n’avait pas encore mesuré la portée. Le directoire, divisé, déconsidéré, le laissa d’autant plus facilement arriver, que Barras le regardait encore comme son protégé, et que Sieyes espérait en faire son instrument. Il n’eut plus, dès-lors, qu’à se décider entre les partis, leurs offres, ses promesses, et, parmi ceux qui se mirent en avant, tout bon citoyen eût fait le même choix que lui. On peut s’étonner que, dans la journée de Saint-Cloud, Bonaparte ait paru le plus troublé de tous ; qu’il ait fallu pour le ranimer un mot de Sieyes, et, pour enlever ses troupes, un discours de Lucien ; mais, depuis ce moment, tous ses avantages ont été combinés, saisis et assurés avec une suite et une habileté incomparables.

« Ce n’est pas, sans doute, cette absolue prévoyance de tous les