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mot est juste et piquant dans la situation, et d’accord avec le vœu universel d’alors dont c’était une rédaction vivement abrégée. Mais en rayant toute une histoire de rois, on ne raie pas aussi aisément un caractère de peuple. Et comment le Lafayette de 89 à 91, le général de la force armée à Paris, le Lafayette des insurrections qu’il contenait à peine, des faubourgs qu’il ne commandait qu’en les conduisant, comment ce Lafayette n’a-t-il pas senti sous lui et au poitrail de son cheval le même peuple orageux et mobile, héroïque et… mille autres choses à la fois, peuple de la Ligue et de la Fronde, peuple de l’entrée d’Henri IV et de l’entrée de Louis XVI, peuple des trois jours, je le sais, mais aussi de bien des jours assez dissemblables, j’ose le croire ? Or, ce peuple-là de Paris n’était lui-même qu’une des variétés de la grande nation. On oublie trop, en traitant, soit avec les individus, soit avec les nations, ce qui est du fond de leur caractère ; à part quelques complimens de forme, où résonnent les mots d’honorable, de loyal, on aime de part et d’autre à se dissimuler cela ; c’est comme quelque chose d’immuable au fond et de fatal ; il semble que ce soit désagréable et humiliant de se l’avouer. Homme et nation, on suppose volontiers qu’on se convertit du tout au tout. Or, le caractère d’une nation, modifiable très lentement à travers les siècles, toujours très particulier, est moins changeable encore que celui d’un individu, lequel lui-même ne se change guère. Plus il y a grand nombre, et moins il y a chance à la lutte de la volonté morale contre le penchant, plus il y a fatalité et triomphe de la force naturelle. Le caractère, quelquefois masqué chez les nations, comme chez les individus, par les momens de grande passion, reparaît toujours après.

Lafayette, non-seulement d’abord, mais continuellement et jusqu’à la fin, a paru négliger dans la question sociale et politique cet élément constant, ou du moins très peu variable, donné par la nature et l’histoire, à savoir le caractère de la nation française. Il n’a jamais vu ou voulu voir que l’homme en général, et non pas l’homme des moralistes, celui de La Rochefoucauld et de La Bruyère, mais l’homme des droits, l’homme abstrait. En juillet 1815, entre Waterloo et la seconde rentrée des Bourbons, il prit la plus grande part, comme on sait, à la déclaration de la chambre des représentans. « Cette pièce admirable, écrit-il avec raison, présente ce que la France a voulu constamment depuis 89 et ce qu’elle voudra toujours jusqu’à ce qu’elle l’ait obtenu. » Et il ajoute : « Ceux qui accusent les Français de légèreté devraient penser qu’au bout de vingt-six ans de révolution, ils se retrouvent dans les mêmes dispositions qu’ils manifes-