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LA TERREUR EN BRETAGNE.

— Citoyens, dit Leperdit en souriant avec douceur, je ne sais point faire des miracles comme Jésus-Christ, et je ne puis changer ces pierres en pains. Quant à mon sang, que vous voyez couler, plût au ciel que je pusse vous en nourrir, je vous le donnerais avec joie jusqu’à la dernière goutte.

À ces mots d’une sublime miséricorde, tous les yeux se baissent ; il y a dans la foule comme un mouvement d’embarras. Leperdit en profite, et justifie la commune en rappelant tout ce qu’elle a fait, tout ce qu’elle fait encore pour ramener l’abondance. Il parle long-temps avec calme, d’une voix douce, égale, et ne s’interrompant que pour essuyer le sang qui inondait son visage. La foule comprit qu’on lavait trompée, et alors vint le regret, puis la honte. Le bruit s’apaisa, les rangs s’éclaircirent, et cette multitude, qui un instant auparavant grondait pareille à une mer orageuse, se fondit comme une nuée.

Mais enfin la tourmente révolutionnaire s’apaisa ; les chouans et les Vendéens déposèrent les armes ; l’abondance reparut, et avec elle la tranquillité publique.

Tant que la mairie de Rennes avait été un avant-poste exposé aux premiers coups des brigands et de l’émeute, tout le monde s’était tenu à l’écart ; mais dès qu’il n’y eut plus qu’honneurs et profits à y trouver, chacun s’offrit à remplacer Leperdit. Les gens bien nés s’aperçurent pour la première fois que ce n’était qu’un pauvre tailleur qui faisait des fautes d’orthographe. On avait pu l’accepter comme administrateur à une époque où il fallait savoir mourir ; mais maintenant que le danger était passé, ce poste demandait un homme considéré qui pût donner des bals ! L’égalité républicaine n’était déjà plus qu’une fiction reléguée dans la loi ; il y avait quelque part un jeune général à longs cheveux et à visage cuivré qui méditait sourdement de confisquer la révolution à son profit. La réaction contre les habitudes démocratiques se faisait sentir partout, et les sans-culottes débraillés de 93 commençaient à se transformer en incroyables. Leperdit comprit que son temps était fini, et, ne cherchant point à retenir un pouvoir qu’il n’avait jamais demandé, il retourna à son établi, comme Cincinnatus à sa charrue, sans soupçonner lui-même la grandeur de son dévouement. Cependant il fit partie, un peu plus tard, de la députation que le conseil municipal de Rennes envoya pour féliciter Napoléon lors de son passage à Nantes. Ses traits frappèrent l’empereur.

— Votre nom, monsieur ? demanda-t-il brusquement à l’ex-maire de Rennes.

— Leperdit, tailleur.