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lement avec suite et ferveur, si on luttait dans ce but comme sous la restauration, l’esprit de la révolution française vivrait encore, et cette grande ère ne serait pas finie. Or, quels que puissent être les regrets amers, silencieux ou exaspérés, de quelques individus fidèles à leurs souvenirs, l’inspiration qui, de 89 à 1830, n’avait pas cessé, sous une forme ou sous une autre, dans les assemblées ou dans les camps, ou dans la presse et ce qu’on appelait l’opinion publique, d’agir et de pousser, et de vouloir vaincre, cette inspiration s’est retirée tout d’un coup et a comme expiré au moment où, dans un dernier éclat, elle devenait victorieuse. D’autres inspirations, d’autres penchans plus ou moins nobles, sont venus à l’ensemble de la société, et, favorisés de toutes parts, agréés par les gouvernans comme des garanties, ils se développent avec une rapidité presque effrénée, qui ne permet pas le retour. Sans doute la générosité, l’enthousiasme, le désintéressement dans l’ordre des affections générales et dans celui de l’intelligence, ne manqueront jamais au monde, n’y manqueront pas plus que la corruption, l’égoïsme et l’influence masquée de toutes les roueries. Sans doute chaque génération nouvelle vient verser comme un rafraîchissement de sang vierge et pur dans la masse plus qu’à demi gâtée ; les ardeurs s’éteignent et se rallument sans cesse, le flambeau des espérances et des illusions se perpétue :

 Et, quasi cursores, vitaï lampada tradunt.

En un mot, tant que le monde va et dure, il ne saurait être destitué de la vie et de l’amour.

Mais aujourd’hui, là même où, en dehors des cadres réguliers et du train régnant de la société, il y a le plus, à la fois système philosophique élevé, et chaleur de cœur, de conviction, il n’y a plus suite directe et immédiate des idées de la révolution française. Voyez l’école de ceux qui s’en sont faits les historiens les plus profonds et les plus religieux, l’école de MM. Buchez et Roux ; ils comprennent, ils interprètent à leur manière, ils étendent et transforment les théories de leurs plus hardis devanciers. Avec eux, historiens dogmatiques, dès qu’ils prennent la parole en leur propre nom, on se sent entrer dans un cycle tout nouveau. De même, lorsqu’on aborde la philosophie religieuse et sociale de MM. Leroux et Reynaud, les encyclopédistes de nos jours ; ils procèdent de la révolution française et de la philosophie du XVIIIe siècle, assurément. Mais de combien d’autres devanciers ils procèdent également, et avec quels développemens