Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/211

Cette page a été validée par deux contributeurs.
207
SOUVENIRS D’ÉCOSSE.

— Je te le répète, je veux être juste, lui répondit Murdoch de Scalladale ; je ne te proposerai donc qu’une seule condition, et, si tu la remplis, je te promets de te rendre ton enfant.

— Parle, qu’exiges-tu ? lui cria Mac-Lean avec anxiété.

— C’est que tu te dépouilles de tes vêtemens, c’est qu’à ton tour tu tendes le dos aux verges, et que tu te laisses fouetter comme moi je l’ai été tout à l’heure ; à ce prix je te rendrai ton enfant.

Quelque humiliante que fût cette condition, Mac-Lean n’hésita pas à s’y soumettre.

— Je souffrirais mille supplices pour sauver la vie de mon enfant, disait-il en se dépouillant de ses vêtemens. Puis, quand son dos fut mis à nu, au grand étonnement des hommes de son clan, il leur mit lui-même les verges dans la main, et leur ordonna de frapper le seigneur comme ils avaient frappé le vassal.

— J’ai eu tort de céder à ma colère, leur dit-il, et, dans un moment de passion, de dégrader un homme de cœur ; je dois être puni de mon tort.

Du haut de son rocher, Murdoch, tenant toujours l’enfant dans ses bras, contemplait avec une joie féroce et insultante l’humiliation de son seigneur, et comptait chacun des coups que frappaient les vassaux, stupides exécuteurs de l’ordre de leur chef.

— Plus fort ! criait Murdoch.

— Plus fort ! répétait le malheureux père, espérant de cette façon attendrir le ravisseur de son enfant.

Quand le sang ruissela des épaules de Mac-Lean et que ses forces parurent épuisées :

— C’est assez ! cria Murdoch, il y a aujourd’hui deux vieilles femmes de plus dans le clan de Mac-Lean, deux lâches que la verge a flétris, l’un est le vassal, l’autre le chef ; l’un va mourir après s’être vengé, l’autre peut vivre !

— Rends-moi mon enfant comme tu me l’as promis, lui cria Mac-Lean se soutenant à peine.

— Ton enfant !… te rendre ton enfant ! lui répondit Murdoch en poussant un affreux éclat de rire ; et mon honneur ? toi, peux-tu me le rendre ?

— J’ai rempli ta condition, remplis ta promesse.

— Oui, tu es flétri comme je l’ai été, mais ta dégradation peut-elle me laver de ma honte ? mon honneur est mort, ton enfant doit mourir.

— Rends-moi mon enfant ! misérable, lui criait Mac-Lean exaspéré.

— Ton enfant, tiens ! le voici, tends les bras…

Et le montagnard, élevant l’enfant au-dessus de sa tête, poussa un cri féroce et se précipita du haut du rocher dans l’abîme ouvert devant lui. Tous deux reparurent un instant à la surface des flots, le montagnard serrant toujours l’enfant d’une étreinte convulsive ; puis tous deux s’enfoncèrent, et la mer recouvrit leurs têtes.

— Les Mac-Leans étaient vraiment des hommes dans ce temps-là ! s’écria