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laird du canton, après une longue absence, procure une abondante pêche de harengs ; qu’au contraire l’arrivée d’une femme, venant d’une autre île, fait déserter tout le poisson de la côte : aussi les femmes voyagent-elles peu, et sont-elles toujours mal reçues par les Hébridiens, qui sont peu galans. Les femmes ne sont guère occupées que de la culture des terres et du soin d’augmenter leur famille. Les enfans naissent par myriades ; fort peu vivent ; la misère et l’absence de soin déciment ces malheureuses créatures. L’éducation de ces enfans est toujours fort négligée ; cependant, dans chaque paroisse des Hébrides, il y a une école où on montre aux enfans à lire en anglais. Grâce à cette mesure, la langue anglaise commence à être généralement parlée dans les îles.

Le docteur Johnson, voyageur pédant, qui visita les Hébrides vers la fin du dernier siècle, remarque assez judicieusement que la plupart des montagnes sont comme l’Ida d’Homère, abondantes en sources, mais qu’il y en a peu qui méritent l’épithète de couronné de feuillage, que le poète donne au Pélion. L’aspect du pays n’a pas beaucoup changé depuis le docteur Johnson, celui des montagnes surtout ; de nombreuses sources, qui s’infiltrent entre les rochers, ou une mousse olivâtre qui couvre un sol noir, sillonnent leurs flancs que revêtent dans les parties élevées de stériles bruyères. À peine çà et là, dans les ravins mieux abrités du vent, voit-on croître péniblement des sapins ou des saules rabougris, et de maigres bouleaux en lutte perpétuelle avec les tempêtes. Le sapin d’Écosse est toujours fort rare dans ces montagnes, où on a essayé de naturaliser les sapins de Norwége et les sapins d’argent, qui réussissent mieux que toute autre espèce d’arbres ; c’est-à-dire que, sur un millier de sujets plantés dans les défrichemens de bruyères, il en vient cinquante. Les collines et les plaines abritées du vent du nord et du vent d’ouest voient seules croître les grands arbres, les ormes, les chênes, les tilleuls ; mais comme la plupart de ces plantations sont de nouvelle date, peu d’arbres ont encore acquis une remarquable hauteur ; tous d’ailleurs tendent plutôt à s’arrondir et à s’étendre qu’à s’élever ; aussi ce qu’on appelle un bel arbre dans les îles ressemble-t-il presque toujours à un gros pommier en plein vent.

Le peat, espèce de tourbe qui se trouve par lits sur les collines et dans les marais, remplace le bois comme combustible dans presque toutes les îles. C’est une substance noire, légèrement bitumineuse, dont les parties sont liées entre elles par des fibres végétales. On coupe le peat en dalles de différentes largeurs qu’on entasse auprès des maisons pour les faire sécher. On empile ces dalles dans le foyer, ou bien, chez les gens aisés, on les brûle sur des grils de fer comme le charbon de terre, de façon à éviter la fumée, dont l’odeur est infecte.

Vers le milieu du jour, nous nous sommes arrêtés au fond d’une grande baie au bord d’un ruisseau. Cette baie s’appelle le Loch-Seredon. La pluie avait cessé, le ciel bleu commençait à reparaître, et d’instans en instans, à travers les nuages, nous apercevions vers le nord les hauts sommets du