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SOUVENIRS D’ÉCOSSE.

langue gallique que le vieillard psalmodiait. J’allais donner quelques pièces de monnaie au senachi ; le plus alerte de nos guides nous fit signe de n’en rien faire ; il prit les pièces de monnaie, qu’il mit dans sa poche, et, en échange, il tira de son sprochan une ou deux cakes, ou gâteaux d’avoine, et les donna au vieillard. « Il aimera mieux cela, nous dit l’habitant de Mull ; on ne donne de l’argent qu’aux mendians ; mais lui, c’est un senachi, et mieux vaut que ce soit un senachi qu’un mendiant ; car la rencontre d’un mendiant nous aurait porté malheur. Le vieillard prit les gâteaux d’avoine, et notre homme qui avait une telle antipathie pour les mendians garda notre argent, dont nous n’entendîmes jamais parler.

Le Pater noster ne nous donnait pas une haute idée de la poésie hébridienne moderne. Cependant nos guides nous assurèrent que la poésie n’avait pas cessé d’être en grand honneur dans l’île, et, pour nous en donner la preuve, ils nous racontèrent ce qui suit : « Chaque année, à la veille du 1er janvier, une nombreuse société se rassemble chez les lairds, les taksmen et les principaux propriétaires de l’île. Tout à coup, au milieu de cette réunion, paraît en hurlant un homme revêtu d’une peau de vache. Les assistans commencent par frapper à tour de bras sur la vache ; mais, comme ses beuglemens augmentent en raison des coups qu’elle reçoit, et que, d’ailleurs, elle joue vigoureusement de la tête et des pieds, elle a bientôt chassé de recoins en recoins les assistans, qui s’enfuient avec une feinte terreur, et qui finissent par se trouver hors de la maison, dont l’homme-vache ferme la porte. Jusque alors, rien de bien poétique ; or, à la veille du jour de l’an, la température extérieure n’est pas des plus agréables dans les Hébrides, aussi la porte est-elle bientôt assiégée par tous les fuyards, qui veulent rentrer. C’est alors que commence le triomphe de la poésie. L’homme à la peau de vache, qui est toujours un grand clerc, tient la porte soigneusement close, et, pour rentrer, il faut que chacun récite au moins un vers. Ceux qui n’ont pas pris leurs précautions ou qui, au besoin, ne savent pas mettre un vers sur ses jambes, se trouvent condamnés à passer la nuit à la belle étoile ou à chercher un asile chez des amis, qui, souvent, demeurent à plusieurs milles de distance ; mais, comme les Hébridiens sont presque tous naturellement poètes, la chose est presque sans exemple.

Le tour d’esprit poétique des Hébridiens se combine comme d’ordinaire avec un goût prononcé pour le merveilleux qui n’est guère propre à déraciner les idées superstitieuses auxquelles les gens du peuple sont toujours livrés. Les lairds et les gens comme il faut croient à la seconde vue, et racontent de merveilleuses aventures de ce phénomène dont le magnétisme animal n’a pas manqué de s’emparer. Les gens du peuple croient toujours aux revenans, aux sorciers, au mauvais œil ; il y a encore de pauvres montagnards qui offrent en cachette du lait de vache à Greogach. Greogach est un vieillard à grande barbe blanche qui tour à tour est redouté comme un démon ou invoqué comme un bon génie ; Greogach fait surtout grande peur aux enfans. Les pêcheurs hébridiens sont toujours persuadés que le retour du