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SOUVENIRS D’ÉCOSSE.

moment après il commanda de nouveau à l’enfant de monter à l’extrémité du grand mât et de lui dire ce que cette fois il voyait.

— Deux corbeaux viennent de se joindre au premier, cria l’enfant comme il arrivait à la pointe du mât, tous trois tourbillonnent toujours autour du rocher.

— Ce n’est rien encore, murmura le capitaine, trois corbeaux ne nous empêcheront pas de mener notre entreprise à bonne fin ; mais quand le mousse lui cria qu’un quatrième corbeau venait de l’ouest, un cinquième de l’est, un sixième du sud, et que tous se réunissaient et voltigeaient autour du château, le front de l’Espagnol se rembrunit singulièrement, et ses pas sur le tillac du navire étaient moins assurés.

— La partie n’est plus égale, murmurait-il ; et encore plaise à Dieu que le nombre des ennemis que nous avons à combattre soit maintenant au complet !

Le capitaine n’avait pas achevé que le mousse lui cria qu’il voyait venir, du côté du nord, un septième corbeau ; alors le capitaine sentit son courage défaillir.

— Tout est perdu ! s’écria-t-il ; quoique nous eussions six corbeaux contre nous, notre entreprise eût pu réussir, mais aucun pouvoir humain ne peut lutter contre sept corbeaux réunis, car les sept corbeaux sont les sept grandes sorcières de l’île, toutes d’accord contre nous. Il faut donc fuir au plus vite ou nous attendre à succomber.

Le capitaine n’avait pas encore fini, qu’un nuage noir comme un manteau de deuil couvrit tout le ciel et qu’un coup de tonnerre effrayant retentit sur sa tête ; le vent hurla à travers les agrès du navire, la mer se souleva en bondissant, et, précipitant la galère contre les rocs qui hérissent le rivage de l’île de Mull, la brisa en mille pièces. Soldats, matelots, navire, tout fut englouti dans les abîmes de l’Océan.

Mac-Donald, lord des Îles, fut heureux de recouvrer sa liberté en faisant abandon de toutes ses prétentions à la main de la princesse espagnole, que Mac-Lean de Duart épousa ; et comme le roi d’Espagne avait d’autres jolies filles à sa cour, désormais il ne jugea plus à propos de risquer ses galères pour une aussi périlleuse entreprise.

Aros, où nous arrivâmes le soir au moment où les étoiles du ciel et les phares du détroit s’allumaient simultanément, est un petit village de pêcheurs bâti au pied d’un énorme rocher au haut duquel on voit les ruines d’un autre vieux château qui, comme Ardtornish et Duart-Castle, semble suspendu sur les flots. Ce château était encore une des résidences des lords des Îles. Le clan des Mac-Donalds conserve avec orgueil une charte signée de Robert Bruce, qui leur accorde certains priviléges comme récompense de la valeur de leurs guerriers, « lesquels, dit la vieille charte, ont puissamment contribué à la victoire de Bannockburn. » Cette charte est datée d’Aros. Les descendans des Mac-Donalds sont tous pêcheurs, aubergistes ou cabaretiers.