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REVUE DES DEUX MONDES.

Il se rendit aussitôt chez Carrier.

— M’apportes-tu la liste ? demanda celui-ci dès qu’il l’aperçut.

— Non.

— Pourquoi ?

— Parce que je ne veux pas qu’on la fasse.

Le conventionnel se leva comme un lion blessé.

— Qui donc de toi ou de moi commande ici ? s’écria-t-il.

— Ni l’un ni l’autre : c’est la Justice qui commande, et elle défend de frapper des frères, coupables seulement de s’être trompés. Fais toi-même cette liste, si tu veux ; nous ne sommes pas des dénonciateurs.

— Ah ! tu prends le parti des anarchistes, des modérés, des calotins… Et si je t’envoyais pourrir en prison ?

— J’irais.

— Si je te faisais guillotiner ?

— Tu es libre.

Carrier grinçait des dents et frappait du poing sur son bureau : cette résistance calme irritait sa colère, sans lui fournir les moyens de s’exprimer.

— Retourne à la mairie, dit-il enfin à Leperdit, je t’y consigne.

— C’est inutile, répondit le tailleur, je n’ai point d’autre domicile depuis un mois.

Leperdit retourna à la mairie, mais Carrier ne parla plus de sa liste de proscription.

Dans une autre occasion, le conventionnel lui reprochait d’avoir favorisé la fuite de plusieurs prêtres qui étaient hors la loi.

— Ils n’étaient pas hors l’humanité, répondit le tailleur.

Lassé de toutes ces résistances. Carrier se décida à partir et à se rendre à Nantes, où il espérait trouver plus de docilité. En quittant Leperdit, il lui dit avec un accent de menace :

— Je reviendrai.

— Tu me trouveras, répliqua le maire d’un ton simple.

Carrier ne reparut plus à Rennes.

Mais, lui parti, restaient encore les méchans, les fous, les lâches surtout, race toujours prête à se racheter avec le sang des autres. Beaucoup de gens s’étaient compromis dans la lutte des girondins contre la montagne. Les membres du Comité des correspondances avec la députation d’Ille-et-Vilaine avaient écrit, le 7 juin 1793, au citoyen Beaugeard la lettre suivante :