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LA TERREUR EN BRETAGNE.[15

— Que les plus capables commandent, répondit-il ; mon rôle à moi est d’obéir.

Mais les évènemens marchaient, et ceux qui avaient commencé la révolution étaient dépassés. Rennes avait eu trois maires déjà ; le premier s’était retiré à l’approche des mauvais jours, le second se cachait pour éviter l’échafaud, le troisième avait péri près de Vitré, massacré par les chouans, comme Joseph Sauveur. La guerre civile était aux portes, l’émeute au dedans, la disette partout, et Carrier arrivait !…

Ce fut alors que l’on vînt dire à Leperdit que ses concitoyens l’avaient choisi pour officier municipal.

— Je n’ai pas le droit de refuser, puisqu’il y a du danger, répondit-il ; je me crois incapable, mais j’essaierai. Si je recule au moment du péril, punissez-moi.

Puis, voulant donner l’exemple de tous les sacrifices, il transforma son atelier en caserne, et y logea trente soldats, vivant des faibles économies qu’il avait longuement amassées pendant dix années de privations.

— Que laisserez-vous à vos enfans ? lui demanda un ami inquiet de ce dévouement patriotique.

— Mon exemple à imiter, répondit le tailleur.

Tel était l’homme en face duquel Carrier se trouva lors de son arrivée à Rennes. Comme nous l’avons déjà dit, les fédéralistes étaient en grand nombre dans le département, et l’envoyé de la convention avait pour mission spéciale de sévir contre ce parti à peine vaincu ; son premier soin fut donc de demander au conseil une liste de proscription. Le conseil effrayé la dresse à la hâte et la présente à Leperdit.

— Vous avez oublié un nom, dit-il.

— Lequel ?

— Le mien, car la plupart de ceux que vous avez inscrits là, sont mes frères d’opinion, et ont combattu comme moi pour la liberté.

Les membres du conseil se regardèrent avec embarras.

— Cette liste est un bon pour le bourreau, reprit Leperdit ; je ne la signerai pas.

— Mais Carrier l’a demandée, et la lui refuser c’est donner sa tête.

— Je le sais ; aussi je me charge de ce refus.

Et déchirant la liste :

— Adieu, frères, ajouta-t-il en tendant la main à ceux qui l’entouraient : Je vous recommande mes enfans !