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SOUVENIRS D’ÉCOSSE.

rouge. Partout où la roche n’est pas dénudée, des gazons ras, diaprés de fleurs alpines, de larges plaques de lichen des rennes[1] ou des bruyères très fourrées, couvrent les flancs de la montagne ; les coqs noirs ou coqs de bruyère, et les lagopèdes ou perdrix blanches (le grouse et le ptamirgan), vivent en grand nombre sur ses pentes les plus élevées ; des troupeaux de moutons et de bétail noir paissent sur les pelouses où l’herbe a remplacé la bruyère. Un enfant à demi nu, ou un vieillard enveloppé d’un plaid à carreaux de couleurs variées, surveille ces troupeaux. Ces pauvres gens passent de longues journées couchés entre deux rochers, et la nuit dans des huttes de terre couvertes de dalles de gazon. Quelquefois on les entend psalmodier d’une voix lente et monotone quelque complainte populaire. Leur existence solitaire paraît plus triste encore, si on la compare à celle des pâtres des vallées de l’Esk, de la Clyde et d’Ettrick.

En descendant du Ben-Lomond on ne doit pas oublier de visiter la prison de Rob-Roy. C’est une caverne creusée dans le rocher à trente pieds au-dessus du niveau du lac. C’était là le château fort et le quartier-général du brigand. La terre y est encore imbibée de sang, disent les cicerone du pays. Ce sang ne retombera point sur la tête du pauvre Rob-Roy ; c’est tout simplement une espèce d’ocre rouge provenant de l’oxidation d’une argile ferrugineuse qui remplit les fentes du rocher.

À Inveruglas, on retrouve l’excellente route qui part de Dunbarton et qui suit la rive droite du lac. Du haut du promontoire de Firkin-Point, l’œil embrasse toute l’étendue du lac, qui, du côté du sud, s’étend comme une vaste nappe d’argent, semée d’îles incultes ou verdoyantes[2] et entourée d’un amphithéâtre de vertes collines, et qui, du côté du nord, s’allonge noir et profond entre un double rang de montagnes escarpées ou de roches perpendiculaires. C’est un paysage dans le style sévère du Dominiquin ou de Salvator Rosa.

Au-delà de Firkin-Point, la route est tracée au fond d’un ravin que dominent des collines incultes et rocailleuses. Comme nous nous engagions dans ce défilé sauvage, M. William R. M. de Glasgow, mon compagnon de voyage, me raconta une fort singulière histoire de voleurs, qui date du dernier siècle, et dont la route que nous parcourions, alors beaucoup moins fréquentée qu’aujourd’hui, fut le théâtre. Un riche seigneur anglais, lord Berkeley, avait parié une somme considérable qu’en voyage il ne se laisserait jamais voler par un homme seul, et, par une sorte de bravade tout-à-fait dans le goût du temps, il avait ajouté que, volé par un homme seul, il ne se

  1. On distingue parmi ces fleurs l’eucalypte streptocarpe, fleur éteignoir ; l’airelle, la potentille, l’andromède, liée au rocher, comme l’indique son nom mythologique ; l’oxicoccos aux baies cerises, nourriture des grouse, ou coqs de bruyère ; la borrère dorée et le bry turbiné aux petites urnes dorées suspendues à de longs pédoncules, etc., etc.
  2. On compte trente-deux îles sur le Loch-Lomond, qu’on appelle aussi dans le pays Lyncalidor, Llyn-celydd-dur en langue gallique.