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de ministre juste et éclairé ; mais il était ami de la France, et son influence dut cesser quand le roi Ferdinand IV épousa la princesse Caroline d’Autriche.

La reine était née avec un esprit élevé, une ame ferme, et faite pour se livrer avec ardeur aux idées généreuses ou pour opérer le mal avec passion. Elle balança long-temps. Une clause de son contrat de mariage portait qu’elle aurait voix délibérative dans le conseil d’état à la naissance de son premier enfant mâle, et c’était une femme tout-à-fait digne d’un tel douaire. Son influence ne s’exerça toutefois d’une manière absolue qu’au ministère du chevalier Acton, et cette influence eut d’abord les meilleurs résultats. L’abolition graduelle de la féodalité, l’éloignement des jésuites, la suppression de l’inquisition, et beaucoup d’autres mesures capitales de ce genre, furent suivies de l’abolition des mains-mortes et de la défense de prononcer des vœux dans aucun ordre religieux avant vingt et un ans accomplis. Les terres communales furent louées par bail emphytéotique, les ordres religieux soustraits à la dépendance de Rome, et tout annonçait un heureux avenir pour la Sicile quand la révolution française éclata. Le gouvernement napolitain devint alors tout à coup ombrageux, et il s’opéra en lui une réaction dont celle qui a lieu aujourd’hui en Sicile, n’est que le résultat et la suite.

Un historien plein de talent, mais aigri par ses malheurs, le général Coletta, a conté en beaux termes la fuite de la famille royale de Naples en Sicile, après la défaite de l’armée napolitaine sous les ordres du général Mack ; et c’est avec une sorte de respect mêlé d’aversion, qu’on voit dominer dans ce tableau l’ame vraiment grande, mais déjà pervertie, de la reine Caroline, qui veillait seule sur cette race royale ballottée entre deux royaumes. C’était, en effet, un spectacle digne de la plume de Bossuet, qu’offraient ce roi et sa famille, retenus trois jours, par la tempête, dans ce golfe où retentissait déjà le bruit du canon ennemi ; ces magistrats, ces barons, ce peuple, toute cette cité enfin, assemblée sur le rivage, suppliant le roi de rester au milieu d’elle, et lui promettant de le défendre contre les armées qu’il fuyait ; et ces vaisseaux chargés de trésors, de statues, de tableaux, emportant un roi faible et malade, avec ses enfans, dont l’un devait mourir dans cette orageuse traversée. N’était-ce pas une des plus tristes destinées royales, même dans ce temps si fatal aux fronts couronnés, que celle de cette famille poussée par une horrible tempête, chassée vers la Calabre, la Sardaigne et la Corse, sur des vaisseaux désemparés, privés de leurs mâts, de leurs voiles, en une telle détresse, que