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LA SICILE.

dans une congrégation noble, comme celle des bénédictins. Quant aux filles, on s’efforçait de leur faire prendre le voile, et la cérémonie des vœux se faisait avec un éclat qui les séduisait plus facilement. Cet état de choses est loin d’avoir disparu complètement.

La législation était devenue un ramassis, un amalgame confus de droit romain et canonique, de coutumes féodales, normandes et même sarrasines, de lois souabes, aragonaises, angevines, espagnoles. Les nuées de jurisconsultes qui sortaient chaque année de l’université de Catane, embrouillaient encore plus toutes les questions de jurisprudence. Le goût des procès, inhérent à la Sicile, et qui semble un legs que lui a fait la domination normande, ajoutait à cette confusion. Les juges n’avaient, d’ailleurs, aucun traitement ; ils vivaient de ce qu’ils tiraient de leurs actes. De plus les employés, les militaires, les moines, étaient jugés par des magistrats différens. À Messine, à Palerme, à Catane, les cours de justice étaient composées d’après des organisations différentes. La procédure criminelle était accompagnée de la torture, et de tortures perfectionnées comme la législation, depuis la domination des Arabes jusqu’à celle des Espagnols. Enfin, l’exil dans les forteresses et les îles voisines était infligé arbitrairement de mandato principio. Et c’était encore là une des meilleures époques de la Sicile, qui vivait sous un roi ardemment occupé de son bien-être et de sa prospérité !

Le règne de Ferdinand fut salué avec joie par la Sicile. Le jeune roi avait été élevé loin des affaires et du travail. Le prince de San-Nicandro, son précepteur, homme sans élévation, incapable d’enseigner ce qu’il ne savait pas lui-même, n’occupait son élève que de la chasse, de la pêche et des exercices du corps. Heureusement le marquis Tannucci, ministre de Charles III, avait pris de l’influence sur son successeur. C’était un homme savant, libéral pour son temps, ardent défenseur de l’autorité royale, ennemi des priviléges ecclésiastiques, surtout en matière criminelle, mais prudent et conciliant. Il opposa une certaine modération mêlée d’énergie aux actes des seigneurs féodaux, qui, en Calabre surtout, se montraient encore plus barbares que le peuple au milieu duquel ils vivaient. Ainsi qu’en Sicile, ces barons étaient juges, possesseurs de la chasse, de la pêche, des forêts, des moulins, des prémices de la moisson, de la vendange, de la récolte des olives. Tannucci attira cette noblesse sauvage à la cour, l’adoucit, prit de bonnes mesures et rendit l’état du peuple plus supportable. Tannucci n’eût-il rendu qu’un seul édit, celui par lequel il força les juges de motiver leur sentence, eût mérité le nom