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LA SICILE.

du trésor. Les villes d’Agrigente et de Licata furent vendues ! S’il eût trouvé quelqu’un pour l’acheter, Philippe IV roi d’Espagne, qui régnait alors, eût volontiers vendu tout son royaume de Sicile.

Il y avait encore une autre source de maux et de discordes. La grande cour suprême et le tribunal de l’inquisition se faisaient la guerre, et il n’y a pas d’exagération dans ce mot, car la cour ayant voulu faire arrêter des inquisiteurs, comme coupables de meurtre, et les inquisiteurs ayant excommunié la cour, il s’en suivit une grande bataille à Palerme, entre les magistrats, l’archevêque de Palerme soutenu par les soldats d’un côté, et les inquisiteurs entourés de leurs familiers armés de l’autre. Le palais de l’inquisition fut attaqué en règle. La grande bannière de saint Dominique flottait d’un côté, et celle de sainte Rosalie, la patronne de Palerme, de l’autre. Les inquisiteurs lançaient des croisées du palais des bulles d’excommunication sur les soldats ; mais ces armes, toutes terribles qu’elles étaient, n’arrêtèrent pas les assiégeans, qui tuèrent les familiers, et pénétrèrent dans la grande salle de l’inquisition, où l’on trouva les inquisiteurs revêtus de leurs robes et assis dans leurs stalles, comme le sénat romain à la prise du Capitole. Ceci se passait sous Philippe III. On voit que la Sicile ne ressemblait pas encore tout-à-fait à l’Espagne.

En même temps, chaque ville se révoltait pour son compte, et surtout Messine qui prétendait être tout-à-fait exempte d’impôts par ses priviléges, et envoyait, pour ses intérêts particuliers, des ambassadeurs en Espagne, qui étaient reçus avec le cérémonial usité pour les envoyés des puissances étrangères. Sous Charles II, Messine poussa l’indépendance jusqu’à appeler à son secours Louis XIV, qui était en guerre avec l’Espagne. On sait l’histoire de la venue de l’amiral Vivonne à Messine et de cette courte domination française, qui se termina par l’abandon de Messine et l’émigration de plus de quatre cents familles siciliennes, qu’on transporta en France et en Italie, mais surtout à Venise, où elles s’établirent, pour échapper à la vengeance des Espagnols. Il faut reconnaître que cette ville commerçante et bourgeoise de Messine avait quelque chose de l’énergie municipale des vieilles villes anséatiques et lombardes, et qu’elle était bien plus faite pour figurer parmi les républiques industrielles du moyen-âge, qu’au milieu des cités féodales de la Sicile, dont elle s’est presque sans cesse tenue séparée. Aussi la voit-on toujours isolée dans l’histoire de Sicile, comme sous la vice-royauté d’Albuquerque, où elle seule tenait tête à ce vice-roi aimé et obéi dans tout le pays, en même temps qu’elle