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d’envoyer une ambassade au roi Charles, qui se trouvait alors à Viterbe, pour lui exposer la détresse publique et l’inquiétude que répandaient, dans toute la Sicile, les exactions et les violences de ses agens. Le roi écouta les envoyés, infligea une punition à Éribert, et réprimanda ses ministres par un rescrit du 1er avril 1276, adressé à tous les Siciliens. Mais les choses allèrent comme devant ; les rapines, les exactions et les désordres continuèrent. Cependant les Siciliens ne se lassèrent pas de recourir aux moyens de conciliation, et s’adressèrent au pape par l’intermédiaire de Bartolomeo, évêque de Patti, et d’un moine dominicain, le père Bongiovanni Marino, qui ne craignit pas de s’en aller devers le roi Charles, et lui tint intrépidement un discours, dont l’exorde était ce passage de l’Écriture : « Ayez pitié de moi, fils de David ; car ma fille est malignement tourmentée du démon ! » Le mal ne cessa point.

Ce fut alors que don Giovanni, seigneur de Procita, qui est réclamé par les historiens de Catane comme un de leurs compatriotes, commença de conjurer contre la domination française. Selon Pétrarque, la femme de ce seigneur avait été enlevée, violée ou débauchée par les Français ; mais Procita n’avait pas besoin de ce motif de haine contre la nation française. Il était Sicilien, baron, il avait eu la faveur du roi Manfred, et ses biens ainsi que son autorité avaient beaucoup souffert du joug étranger. Il s’en alla à Lentini, l’ancienne Léontium, dans le val de Noto, à peu de distance de la mer d’Afrique, et s’ouvrit à un certain Alaimo, avec lequel il se rendit à Calatagirone, où ils trouvèrent pour complice un nommé Guatteri. Bientôt dans toute l’île il y eut des conjurés, et des délégués furent nommés pour s’entendre avec les ennemis de Charles d’Anjou. Procita, habillé en moine, traversa la Sicile, et s’embarqua secrètement dans une speronara à douze rameurs, pour l’Italie. Il se rendit successivement près du pape Nicolas III, de l’empereur de Constantinople, Michel Paléologue, et du roi d’Aragon. Le pape approuva secrètement le projet des Siciliens ; mais il exigea, pour condition de son approbation publique, dans le cas où ils réussiraient, que Procita vînt lui porter une grosse somme d’argent, dans son château de Suriano, que les terribles vers de Dante ont rendu si célèbre. L’empereur grec était en guerre avec Charles de Naples. Averti par Procita que le roi préparait une expédition contre Constantinople, il accorda aux conjurés une subvention de 30,000 onces d’or, avec laquelle ils achetèrent le consentement du pape. Quant à Pierre d’Aragon, qui avait épousé Constance, fille de Manfred, il consentit à envoyer une flotte