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bannière ces paroles de l’Écriture, qu’on lit en tête de toutes ses chartes : Dextera Domini fecit virtutem, dextra Domini exaltavit me. Quatre chameaux, chargés des dépouilles des Sarrasins, furent envoyés au pape Alexandre II, qui remit en échange, aux envoyés du comte Roger, un étendard bénit à l’aide duquel il devait achever la conquête de la Sicile.

Ces grands coups de lance et d’épée retentissent encore dans les montagnes de la Sicile. En 1072, les Normands entrèrent enfin triomphalement à Palerme, aux cris de viva Cristo ! Alors fut établie la grande division féodale, que les Normands introduisaient dans tous les pays de leur conquête, et que Guillaume-le-Conquérant imposait alors à l’Angleterre. Le territoire de la Sicile fut divisé en trois parties : l’une fut donnée aux prêtres, l’autre aux chefs et aux principaux officiers de l’armée normande, et la troisième tenue en réserve pour le souverain. Ce fut l’origine du parlement composé des trois bras, ecclésiastique, baronial et domanial, que Roger II réunit pour la première fois en 1129. Quant au grand comte Roger, le reste de sa vie se passa à combattre les Sarrasins, à élever des forts contre eux, et à construire des églises, ce qui était encore une manière de combattre les infidèles. Pendant ce temps, Robert s’en allait batailler dans la Pouille et dans la Calabre, et revenait de temps en temps pour aider son frère de sa puissante épée. Quand on parcourt la Sicile, on voit tout à coup apparaître, comme des nids d’aigle, à la cime des rochers, ces forts semés par la conquête, depuis le promontoire le plus voisin de l’Afrique jusqu’au rivage qui fait face aux montagnes de la Calabre. Après avoir gravi, sur le dos d’un mulet, ces montagnes à pic, on franchit enfin une porte basse et tortueuse, faite pour ces guerres de ruses et de surprises ; et, à la misère, à l’isolement du petit nombre des habitans, à l’expression pensive de ces visages d’Orient, à la régularité des traits, à la surprise, presque à l’effroi qu’inspire votre venue dans ces aires isolées, vous pourriez vous croire encore au lendemain d’une de ces batailles après lesquelles la population mêlée de Normands, de Grecs, de Lombards et d’indigènes, fuyant les Sarrasins, venait chercher un refuge pour l’ame et pour le corps, dans le temple chrétien, protégé par les murailles et les herses d’une forteresse normande. Quelquefois une citadelle des Normands s’élevait en face d’un château-fort arabe, comme celle de Calatascibetta. Le comte Roger la fit construire pour assiéger l’Al-Cassar de Castrogiovanni, qui est l’ancienne Enna, au pied de laquelle s’étendait une belle vallée, verte et