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téger la Sicile contre les Grecs. Mais au lieu de l’embrasser, comme ils feignirent de le faire, ils le retinrent par ses longs cheveux, le frappèrent à coups redoublés de leurs poignards, lui tranchèrent la tête, et la promenèrent dans les rues de la ville sur une pique. Syracuse se révolta.

La ruine de Syracuse fut achevée par le siége qu’elle soutint contre les Sarrasins. Ce siége fut terrible. Un moine grec, nommé Théodoric, renfermé dans la prison de Palerme après ce siége, en a écrit la triste relation à l’archidiacre Léon. Dans cette lettre, Théodoric raconte ainsi ses souffrances et celles de ses compagnons : « Nous avons résisté dix mois à l’ennemi, combattant nuit et jour, sur terre et sous terre, n’épargnant rien pour nuire aux assiégeans et détruire leurs ouvrages. L’herbe qui croît sur les murs et les os des animaux réduits en farine, ont été nos alimens, puis nous avons dévoré les enfans et ceux dont la faim avait amené la mort. Inutile courage ! un jour que nos combattans, exténués de chaleur et de fatigue, s’étaient abandonnés au repos pour un moment, les Arabes donnèrent un assaut général. La ville fut prise. Les magistrats, les prêtres, les moines, les vieillards, les femmes et les enfans périrent, presque tous dans l’église du Saint-Sauveur, où ils s’étaient réfugiés. Les principaux bourgeois furent menés hors des murs, et un grand nombre fut tué à coups de pieds et de bâtons. Le commandant Nicétas de Tarse fut écorché vivant, les entrailles lui furent arrachées, et enfin on lui fracassa la tête. Le château fut rasé, les maisons livrées aux flammes, et on avait résolu de brûler vifs l’archevêque et tous les prêtres le jour de la fête du sacrifice d’Abraham, Il Badram ; mais un vieillard qui a de l’autorité sur les Arabes nous a sauvés. Je vous écris ces choses de Palerme, d’une prison située à quatorze pieds sous terre, au milieu d’une foule immense de prisonniers juifs, africains, lombards, chrétiens et infidèles, etc. »

La prise de Syracuse donna presque toute la Sicile aux Sarrasins, commandés par les khalifes Aglabites, auxquels succédèrent les khalifes Fatimites, et leur domination dura, avec diverses chances, jusqu’à l’arrivée des Normands. La nation sicilienne se conservait cependant ; elle vivait de la vie des vaincus, comme firent les Gaulois sous les Franks, les Saxons sous les Normands, et tant d’autres races dominées. Elle se défendit des mœurs des vainqueurs par un ressentiment national, subissant toutefois leur civilisation, dont il reste encore des traces en Sicile, traces qui eussent été plus profondes encore sans l’immense activité des Normands et le génie créateur de leur