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LA SICILE.

La chrétienté se montrait déjà puissante. Les Siciliens l’appelèrent à leur secours, et Boniface, comte de Corse, accompagné de Bertacio, son frère, et de quelques seigneurs de Toscane, porta la guerre chez les Sarrasins eux-mêmes, et défit quatre fois leurs troupes entre Utique et Carthage. L’alarme fut si grande, que ceux qui avaient débarqué à Palerme se hâtèrent de quitter la Sicile.

Une femme fut cause du retour des Sarrasins. Eufémius était préfet de Sicile pour l’empereur Michel. C’était un homme débauché, dont les désirs n’avaient pas de frein. Il devint amoureux d’une belle jeune fille de noble sang, qui était religieuse dans un couvent. Ne pouvant la posséder librement, comme il le voulait, il résolut de l’enlever du monastère où elle était. Et ce qui l’encourageait à commettre ce sacrilége, c’était l’exemple de son maître, l’empereur Michel, qui, étant devenu aussi amoureux d’une religieuse à Constantinople, était allé lui-même l’arracher du couvent où elle était renfermée. Eufémius se fit suivre d’un grand nombre de soldats de sa garde, marcha le sabre à la main au monastère, et contre la volonté de la jeune fille qui fit grande résistance, il l’enleva dans ses bras et la porta lui-même, sans respect pour Dieu et pour les lois, à son palais, à l’autre extrémité de Palerme. La jeune nonne avait deux frères, qui, apprenant cet outrage, coururent par les rues, excitant le peuple à la vengeance, et allèrent en même temps demander justice à l’exarque. Mais le peuple craignait les soldats, l’exarque redoutait le préfet, et personne ne bougea aux cris des deux frères.

Ils partirent pour Constantinople et demandèrent justice à l’empereur, qui, bien que souillé du même péché, trouva très mauvais que son subordonné s’en fût rendu coupable, et commanda à l’exarque de le châtier sévèrement. Eufémius fut averti à temps. Il se mit à la tête des troupes, chassa l’exarque et se fit proclamer empereur. Mais se trouvant trop faible contre Michel, il demanda du secours aux Sarrasins, qui habitaient alors la cité de Cayrwan, cité puissante, car Tunis n’était encore qu’un petit fort sans importance. À Cayrwan régnait, en qualité de bey ou d’émir, Ibraimo-al-Aglab. Il confia une armée nombreuse à un capitaine renommé, du nom de Abd-el-Kad, qui aborda à peu de distance de Mazzara, et fit brûler aussitôt toutes ses embarcations, afin d’ôter aux Sarrasins qui l’accompagnaient tout espoir de retourner en Afrique.

Eufémius ne jouit pas long-temps de sa trahison. Deux jeunes gens de Syracuse, deux frères, deux gentilshommes, se rendirent dans son palais, et demandèrent à conférer avec lui sur les moyens de pro-