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LA TERREUR EN BRETAGNE.

— Mais ils ne savent donc pas que Carrier est ici ?

— Ils viennent de l’apprendre.

— Alors qu’espèrent-ils ?

— Ils parlent de se rendre au département pour y accuser la convention et faire appel aux fédéralistes.

— Ils seront arrêtés !

— Je ne sais ; les fédéralistes sont en majorité à Rennes comme dans toute la Bretagne ; la présence de Carrier a répandu l’effroi et empêché la résistance, mais l’arrivée de Lanjuinais peut tout changer. Il est fort aimé ; la persécution dont il est l’objet rendra ses paroles plus puissantes. Une lutte, dont l’issue est impossible à prévoir, va s’engager entre lui et le représentant.

— Que comptez-vous faire ? demandai-je après un moment de silence.

Benoist jeta à sa femme un coup d’œil rapide.

— Les circonstances sont difficiles, dit celle-ci avec calme ; mon mari est l’ami d’enfance de Lanjuinais ; il l’aime comme un frère, et cependant il ne peut ni l’approuver ni le seconder en cette occasion. Le fédéralisme n’est qu’un démembrement moral de la France. La montagne a été brutale dans sa victoire, mais elle ne l’a remportée que parce que la vitalité et la force nationales étaient en elle. Ces conventionnels sont pour moi comme des soldats qui boiraient mon vin, pilleraient ma maison et battraient mes enfans, mais défendraient ma vie et mon pays. Je les hais et j’en sens le besoin. Les amis de Lanjuinais doivent tout faire pour le sauver, ils ne peuvent rien faire pour seconder ses projets.

Mme Benoist s’aperçut que je l’écoutais avec étonnement ; elle s’interrompit tout à coup.

— Pardon, dit-elle, vous voyez que je retiens les leçons de mon mari.

Celui-ci la regarda avec une étrange expression d’admiration et d’amour ; il lui serra la main.

— Je vais voir Lanjuinais et Duchâtel, dit-il ; je ferai en sorte qu’ils quittent Rennes sur-le-champ.

Il se leva, prit son bonnet rouge, me renouvela ses offres de service, puis sortit. Je venais de comprendre le secret de cette capacité énergique dont le citoyen Benoist avait fait preuve en toute occasion, et qui lui avait valu la confiance des patriotes. L’Égérie qui lui donnait la force et la sagesse venait de se dévoiler à moi. Je fus singulièrement touché de cette association de deux intelligences