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LA CHUTE D’UN ANGE.

sive, patiente, prévoyante, fidèle au but qu’elle a marqué d’avance, paraissent enfantés par une imagination vagabonde, sans but et sans frein. Assurément ces défauts sont graves, et je me saurais mauvais gré de les dissimuler ; car c’est à ces défauts que nous devons attribuer la réprobation presque unanime qui accueille la Chute d’un Ange. Mais il y a dans ce poème informe, qui n’a de poème que le nom, qui ne relève ni de la volonté, ni de la prévoyance, où éclate parfois une ignorance si naïve ; il y a dans ce poème un mérite bien rare, le mérite de la vérité humaine. L’action, au lieu de marcher vers un but déterminé, s’agite au hasard ; mais plusieurs des personnages qui concourent à cette action toute fortuite ont un cœur qui bat, des yeux qui pleurent ; ils aiment sincèrement ; ils sont capables de s’indigner, de haïr ; les sentimens qu’ils éprouvent sont souvent traduits d’une façon très imparfaite ; mais du moins ils éprouvent quelque chose ; ils peuvent tressaillir de joie ou de douleur, et cela vaut mieux que d’avoir des paroles joyeuses ou éplorées pour des joies et des larmes menteuses. Dans cette ébauche poétique, il y a plus de vraie poésie que dans les trois quarts des rimes militairement alignées qui prennent aujourd’hui le nom de poème.

Toutefois la critique manquerait à son devoir si elle n’insistait pas hautement sur l’incorrection qui éclate presque à chaque page de la Chute d’un Ange. La syntaxe est violée avec une obstination dont M. de Lamartine n’avait jamais donné l’exemple. Les cœurs germent l’amour. Plus loin on rencontre les chefs-d’œuvres humains. Tournez la page et vous trouvez les larmes écoulées du cœur. Il est impossible d’afficher pour la langue un mépris plus décidé. Je crois pouvoir affirmer que sur les douze mille vers du nouveau poème, il n’y en a pas cinq cents où la langue soit respectée. Dire que le style de la Chute d’un Ange est incorrect, ce serait demeurer bien au-dessous de la vérité. L’idiome adopté par M. de Lamartine est la négation de toutes les formes et de toutes les lois du style. En voyant l’auteur des Méditations et des Harmonies saccager la langue comme ferait une armée d’un pays conquis, on se demande s’il obéit à la paresse ou à la vanité, si le courage lui manque pour écrire sa pensée selon les lois de la langue qu’il parle, ou s’il croit que les bégaiemens de sa parole, si confus qu’ils soient, ont droit à l’indulgence, à l’admiration du lecteur. Paresse ou vanité, peu importe. J’incline d’ailleurs à penser que la paresse et la vanité ont exercé une égale influence sur l’exécution de la Chute d’un Ange. Mais le mépris de M. de Lamartine pour les lois du langage est un scandale qui afflige tous les amis