Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/127

Cette page a été validée par deux contributeurs.
123
LA CHUTE D’UN ANGE.

naï gagnerait beaucoup à être abrégé. Il y a plusieurs détails qui dépassent les limites de l’horreur poétique.

Le palais des titans réunit les défauts et les mérites des créations de Martin. Il y a dans la description de ce palais une incontestable grandeur, une richesse d’imagination que personne ne peut révoquer en doute. Mais, dans la description du poète comme dans les tableaux du peintre, la forme manque de précision. La perspective, à force de s’élargir et de s’éloigner, finit par devenir confuse et par ressembler aux rêves des mangeurs d’opium. J’ai entendu blâmer sévèrement les chapiteaux vivans dont M. de Lamartine a décoré le palais des titans. À cet égard je ne saurais partager l’opinion générale. Ces chapiteaux vivans me semblent un caprice vraiment poétique, vraiment digne des titans. Puisque la figure humaine sculptée dans le marbre fait bon effet dans la décoration d’un édifice, je ne vois pas pourquoi de belles femmes et de beaux enfans, dressés au rôle de chapiteau, rôle difficile, je l’avoue, ne produiraient pas un effet également heureux. Mais M. de Lamartine, résolu à exprimer l’égoïsme et la servitude sous toutes les formes, a singulièrement abusé de l’avilissement de la personne humaine. Je lui accorde les chapiteaux vivans ; je lui permets de composer, pour les galeries de son palais, des festons de belles femmes entrelacées. Mais ma générosité ne saurait aller plus loin. Je ne lui pardonne pas d’avoir façonné la personne humaine en tapis, en coussins, en canapés. Je ne comprends pas que Nemphed trouve grand plaisir à mettre ses pieds sur l’épaule d’une femme, son coude sur le col d’une autre. Les épaules et le cou d’une belle femme ont un grand mérite pour les yeux du sculpteur et du peintre, pour tout homme capable de sentir et de comprendre la beauté ; mais ni le cou, ni les épaules de la Vénus de Milo ne peuvent remplacer avec avantage, dans le rôle de coussin, le satin et le velours. Je pense donc que M. de Lamartine, dans son désir de ravaler la personne humaine au rang de la chose, a franchi les limites marquées par le goût. Autant j’aime et j’admire ses chapiteaux vivans, autant j’ai de répugnance pour ses femmes façonnées en coussins et en canapés.

L’amour de Lakmi pour Cedar, la subite horreur qu’elle éprouve pour elle-même et pour sa précoce corruption, et le regret de sa virginité sacrifiée sans amour, dès qu’elle a conçu une passion vraie, sont bien conçus et bien racontés. Mais le tour de passepasse à l’aide duquel Lakmi surprend les caresses de Cedar est indigne de la poésie et ne saurait tromper un amant. Malgré la recommandation expresse