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alors les patriciens se réunissent dans la ville, constituent l’aristocratie, combattent les rebelles et organisent la victoire dans le sénat ; le peuple de Rome (plebs) n’est que la cohue des vaincus. Avec le temps, le nombre des plébéiens s’accroît, ils se révoltent de nouveau ; alors l’aristocratie est obligée de céder ; le peuple obtient des lois, des champs, le mariage, l’état civil ; enfin il tourne ou détruit les lois religieuses et féodales de la vieille Rome. Arrivent ensuite les empereurs : ils nivellent toutes les classes, détruisent tous les priviléges, ils proclament des lois qui sont des généralités philosophiques ; alors le droit physique disparaît, et la force de l’autorité va se confondre avec celle de la raison. Évidemment la Providence a préétabli dans l’histoire des peuples une harmonie entre l’autorité et la raison ; la première conduit à la seconde comme la sensation conduit à l’idée.

À merveille : mais si l’histoire de Rome était un fait isolé, un simple accident ? C’était la secrète appréhension de Vico, appréhension à laquelle il n’hésita pas à sacrifier l’histoire de toutes les nations. Athènes, pour lui, ne fait que reproduire l’histoire de Rome. Thésée résume dans sa vie l’époque des sept rois ; après Thésée les luttes des patriciens et des plébéiens et la liberté philosophique. L’histoire des Hébreux n’est qu’une variante de l’histoire romaine, les patriarches de l’Ancien Testament sont des patriciens, le Jubilé est une espèce de loi agraire. L’histoire d’Égypte est, sous une forme différente, une répétition de l’histoire de Rome, seulement l’aristocratie y est encore plus religieuse et la révolution populaire s’étend aux campagnes. L’Europe aussi commence par le patriciat, c’est-à-dire par les fiefs, elle avance par l’émancipation des serfs et se civilise par la monarchie. Au-delà des temps historiques il y a des traditions populaires, des mythes, les poèmes d’Homère ; ce sont autant de variantes de la Bible pour Bochart et d’histoires de la civilisation pour Bianchini ; pour Vico, ce sont des images de l’histoire romaine. Hercule, Hermès, Zoroastre, jouent le rôle de l’aristocratie latine chez les nations de la Grèce, de l’Égypte et de l’Asie ; les héros de l’Iliade sont des patriciens suivis de leurs feudataires ; tout l’Olympe n’est qu’une vaste aristocratie, et Jupiter lui-même obéit aux arrêts du sénat, c’est-à-dire au Fatum. C’est ainsi que l’autorité conduit les nations à travers le pouvoir des pères, des fiefs, des aristocraties, des républiques et des monarchies ; la philosophie ne paraît qu’à la fin, quand la réflexion se substitue à la spontanéité. Revenant de ces idées à l’origine de Rome, Vico écartait du récit de Tite-Live tout ce qui choquait la ré-