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ébauchée dans la politique, et complète dans les arts. Le manque d’influence étrangère avait laissé à l’inspiration son libre essor, et les productions italiennes portaient un caractère italien. L’étude des anciens allait effacer les saillies de la verve municipale ; elle s’alliait à l’amour de la pompe et des formes brillantes, et finissait par entraîner, dans une marche régulière, les allures d’abord originales et divergentes de la littérature. Les vingt-neuf puissances de l’Italie étaient autant de foyers de civilisation, elles resserraient les liens des peuples par leurs relations intimes ; les cours étaient autant de centres d’ambition, de jouissances, de vanités et de talens ; chacune d’elles se recrutait des grands hommes du municipe et les donnait à la nation ; la seigneurie imprimait son cachet à la politique, aux arts, à la littérature. Machiavel rédigeait la politique de la principauté ; l’Arioste embellissait sa légende du moyen-âge des couleurs de la seigneurie. Le Tasse, Cellini, Michel-Ange, vivaient à la cour ; et, jusque dans la philosophie de Ficin et de Patrice, il y a quelque chose de l’élégance de la cour et de la poésie de l’Arioste. La religion elle-même subissait l’influence de la seigneurie ; les papes avaient pris les allures des princes de l’époque ; ils exerçaient une sorte de suprématie classique dans l’art et transportaient à leur insu, dans l’église chrétienne, les dieux de l’Olympe et le luxe de la cour. Enfin la langue italienne s’était formée sous l’influence de la seigneurie, on l’appelait même une langue de cour (cortigiana) ; elle n’avait pas encore pleinement triomphé du latin et des patois, mais elle était déjà l’idiome des hommes de génie. Cette nationalité constituée par les intérêts de la seigneurie était politiquement bien faible ; elle avait bien de la peine à contenir toutes les divergences des gouvernemens, des mœurs et des institutions. Toutes les phases du moyen-âge coexistaient, pour ainsi dire, sur la péninsule ; on voyait en même temps la commune indépendante à Saint-Marin et à Pistoja, l’aristocratie soupçonneuse à Venise, la démocratie orageuse à Florence, le féodalisme impérial à Mantoue, à Mirandola et à Trente ; la seigneurie violente et mobile des condottieri dans la Romagne, la seigneurie paisible ou bornée aux révolutions du palais à Milan, la théocratie à Rome, une espèce de royauté féodale normande à Naples. Cependant les gouvernemens tendaient à écarter la guerre et l’anarchie par la politique de l’équilibre ; peu à peu, après avoir épuisé les combinaisons de l’équilibre, on allait se fédéraliser contre l’étranger ; plus tard l’idée d’une monarchie nationale rêvée par l’ambition des Visconti et par le génie de Machiavel aurait pu se réaliser. Laurent de Médicis, Borgia, Jules II, Léon X, Louis-le-More, offrent la grada-