Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 14.djvu/97

Cette page a été validée par deux contributeurs.
93
LA PAPAUTÉ DEPUIS LUTHER.

stances dont l’irrésistible force contraindrait le catholicisme à convoquer des états-généraux ? Cette assemblée une fois réunie, que pensera-t-elle de ses rapports avec le pape ? Quelles seront aussi les opinions dogmatiques de ses membres ? Dans le sein même de l’église, n’y aurait-il pas des doctrines et des talens qui pourraient inquiéter l’orthodoxie immobile ? Et si on échappait à ce danger, quelle figure ferait le concile devant le siècle et les résultats de ses travaux ? Si déjà, au xvie siècle, le concile de Trente se trouvait mal à l’aise en face des lettrés et des savans, contre lesquels venaient le secourir, il est vrai, les argumens de l’inquisition, que pensera le futur concile, convoqué de nos jours ou dans le siècle prochain, du voisinage de la science humaine qui se sera développée depuis l’heure où le vingtième et dernier concile œcuménique termina ses séances en répondant aux acclamations composées et chantées par le cardinal de Lorraine ?

De graves soucis ne manquent donc pas à Rome, et cette antique maîtresse du monde peut méditer, si elle n’agit plus. Deux fois elle fut le centre de l’Occident. Il est fort douteux qu’elle retrouve une troisième fois cette fortune ; et cependant, au milieu de ses palais et de ses ruines, entre le Vatican de ses papes et le Forum de ses tribuns, on se surprend à attendre encore quelque chose. À Rome, le présent n’est rien ; l’empire du passé est immense, et les différences du temps y sont effacées. La ville des Gracques et des Caton se confond avec la ville des Léon et des Grégoire ; on ne s’étonne pas de visiter le même jour Saint-Pierre et le temple de Vesta : la puissance d’Innocent III ne paraît pas moins éteinte que la gloire de César. Il y a là pour l’ancienne république comme pour la théocratie du moyen-âge, pour le polythéisme comme pour le catholicisme, une égalité de néant qui porte à l’ame un calme étrange, et l’excite en même temps à invoquer l’avenir. Oui, dans cette nécropole de l’univers, on attend la vie ; et comme de tous les points de la terre les hommes s’y rendent encore pour lui demander les émotions de l’histoire, de l’art, de la religion, on dirait des envoyés, des représentans de tous les peuples, qui gardent Rome, la ville éternelle, pour un jour glorieux, où, sans être une troisième fois la reine du monde, elle doit servir encore à l’humanité de musée, de temple et de Forum.


Lerminier.