Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 14.djvu/93

Cette page a été validée par deux contributeurs.
89
LA PAPAUTÉ DEPUIS LUTHER.

comme le dit fort bien M. Ranke, d’un côté le monde catholique était uni, classique et monarchique ; de l’autre, le monde protestant était divisé, romantique et républicain.

Ainsi les moyens peuvent changer, mais entre les deux causes le prix du combat est toujours le pouvoir politique. Elles se balancèrent long-temps dans leurs succès et leurs revers. La papauté, en se séparant de la puissance impériale et espagnole, contribua beaucoup à fonder le protestantisme en Allemagne. Les exagérations de Paul IV précipitèrent dans la réforme Élisabeth et l’Angleterre. Vers 1560, le nord de l’Europe avait abjuré le catholicisme ; l’Allemagne était presque entièrement sous l’empire des doctrines de Luther ; la Pologne et la Hongrie fermentaient ; Genève s’érigeait en métropole des opinions nouvelles ; en France et dans les Pays-Bas un parti considérable soutenait la réforme. Le catholicisme voulut résister à ce triomphe : après avoir raffermi sa domination morale en Espagne et en Italie, et s’être lié, sans arrière-pensée, à la monarchie de Philippe II, il travaille à reprendre son ascendant sur le reste de l’Europe. Les jésuites envahissent l’Allemagne ; ils s’établissent à Vienne, à Cologne, à Ingolstadt, à Spire, comme pour lutter avec Heidelberg, à Wurzbourg, dans le Tyrol ; ils pénètrent en Hongrie, en Bohême, en Moravie ; c’était une invasion du christianisme romain dans le christianisme germanique. La Bavière devint le centre d’une restauration catholique et d’une réforme dans l’église. Les petits princes allemands non réformés se rallièrent à elle. En France et dans les Pays-Bas, le catholicisme se relevait aussi, mais violemment. La cruauté systématique du duc d’Albe, la juridiction formidable du conseil des troubles, extirpèrent la racine des mauvaises plantes, suivant l’expression du roi d’Espagne. Catherine de Médicis, qu’enflammaient l’exemple des Pays-Bas, les conseils de Philippe II et de son terrible lieutenant, frappa, dans la nuit de la Saint-Barthélemy, un coup d’état qui remplit d’allégresse la catholicité. Partout les protestans coururent aux armes, et il s’établit entre eux une solidarité européenne. Le centre de la puissance et de la politique protestante était l’Angleterre ; Élisabeth faisait expier aux catholiques de ses royaumes les disgraces des réformés des Pays-Bas et des huguenots de France. La Saint-Barthélemy provoqua l’immolation de Marie Stuart ; c’est alors que les forces espagnoles et italiennes voulurent tenter un coup de main sur l’Angleterre. L’avènement du fils de Marie Stuart au trône britannique fut une véritable disgrace pour le protestantisme.