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pour aller à l’église. Le reste du temps, ils sont disséminés de part et d’autre, l’été dans les villes, l’hiver dans leur demeure. Ils sont là autour de leur foyer comme ces anciens Scandinaves dont parlent les sagas, les femmes filant la laine, les hommes buvant la bière, ou préparant leurs instrumens d’agriculture.

Dans ces longues veillées qu’ils passent ainsi à la lueur d’une lampe pâle, au bruit du vent qui gronde, ils ont cherché à se créer une distraction, et ils l’ont trouvée dans leurs contes et leur poésie. Ils récitent ces contes en changeant de ton selon la nature des évènemens ou le caractère des personnages. C’est une espèce d’exercice déclamatoire, et la frayeur qu’ils excitent, le cri de surprise qui s’échappe de côté et d’autre au moment de la catastrophe, remplacent pour eux les bravos du parterre et l’éloge du journaliste. Beaucoup d’entre eux s’appliquent à étonner les auditeurs par l’habileté de leur récit, et l’on cite dans la paroisse un bon conteur comme on cite parmi nous un jeune premier ou un père noble. Leurs chants traditionnels n’ont pas moins d’importance. Les uns sont purement lyriques ; on les chante sur une mélodie simple, dont chacun répète le refrain ; d’autres sont dialogués, et par le fait qu’ils racontent, par la forme que le poète leur a donnée, ils ressemblent à des scènes de tragédie. Le plus souvent, cependant, ces chants ont le caractère épique. Ce sont des pages détachées d’une longue histoire, des fragmens de la vie morale, de la vie belliqueuse de tout un peuple. Il ne manque qu’un Homère pour en faire une Iliade.

Dans leur poésie populaire, les Danois ont de plus que les Suédois un chant particulier, connu sous le nom de lek. C’est celui-là surtout qui présente des intentions de jeu scénique. Le lek n’est parfois qu’un morceau fort court, destiné seulement à rassembler plusieurs personnages et à peindre diverses situations. C’est une espèce de libretto complété par la danse, par la pantomime, par la musique. Une société suédoise le prend et se distribue les rôles. Chacun est acteur dans cette comédie de famille, car ceux qui n’ont point de part au dialogue s’associent au chœur qui répète le refrain du lek ou aux danses qui l’accompagnent. Quelques-unes de ces petites pièces sont d’une nature burlesque. Les jeunes gens les jouent en faisant diverses contorsions. D’autres ont un caractère licencieux. Dans les contrées du Midi, elles ne pourraient être représentées sans danger. Dans le Nord, si une famille de paysans s’avise de les jouer, elles ne servent souvent qu’à prouver la pureté de ses mœurs. Enfin, il en est qui sont d’une nature tendre et gracieuse et d’une simplicité antique : tel est, par exemple, ce charmant lek de Vendela, où toutes les puissances de l’ame se montrent absorbées dans le sentiment de l’amour.

Une jeune fille est assise sur une chaise, la tête couverte d’un voile, les deux mains l’une près de l’autre, balançant le corps, comme si elle ramait. Plusieurs personnes passent en chantant, en dansant autour d’elle, et lui disent :

« Pourquoi es-tu assise là ? Pourquoi rames-tu ? pourquoi rames-tu, belle Vendela ?

LA JEUNE FILLE.

Il faut que je rame, il faut que je rame ; l’été vient, le gazon croît.